La grandeur de l'Émir
- Par algermiliana
- Le 01/06/2023
- Dans Arts & Culture
- 2 commentaires
L'émir Abdelkader a écrit le texte qui va suivre dans une cellule de prison, probablement au Fort Lamalgue à Toulon, dans le courant du mois de janvier 1848. Un texte aux belles envolées littéraires dont les accents rappellent Goethe et Chateaubriand, ses presque contemporains :
"Quelle perplexité est la mienne ! Que faire ? Je suis à bout de forces. Inutile ! À quoi bon poursuivre ? Vois ! Mon être tout entier est près de se diviser et de se disperser.
Tantôt je fonds comme la neige dans l’eau : elle fait retour à son élément originel et s’y dissout. À chaque fois que j’ai dit : « Voici l’issue ! » on la referme devant moi : je ne puis surmonter l’obstacle... J’implore un Protecteur et n’obtiens nul secours ; personne pour me donner asile ou pour me repousser ! Y a-t-il un remède à ce mal incurable ? Absurdité ! Folie ! Il n’y a plus d’espoir.
Si tous les trésors du monde étaient déposés à mes pieds, si tous les trésors de la terre pouvaient tenir réunis dans les pans de mon burnous et s’il m’était donné de choisir entre eux et ma liberté, je choisirais ma liberté. À chaque fois que j’imagine à tort quelque répit je me vois plus accablé encore. Mes entrailles sont des feux de désir, des brasiers. Dût l’ensemble des mers se déverser sur eux redoublant leur ardeur. La brise légère du Nedj en se mouvant les embrase ; des vents de toutes sortes les attisant tour à tour. Même si je buvais toute l’eau de la terre, je ne pourrais étancher ma soif. Chaque fois que j’ai dit : « Nos demeures à présent sont proches ». Je n’ai pu me consoler d’eux : la proximité gonfle ma peine. Elle ne m’apporte aucune guérison pas plus que l’éloignement n’est profit.
La proximité ? C’est l’amour qui me ravage et me laisse éperdu. L’éloignement ? C’est un désir ardent qui me scinde et me déchire l’âme.
Ô mon cœur blessé, qu’ils soient proches ou lointains. Le remède est inaccessible et je demeure en ma folie ! O cœur de mon âme, tu fonds sous la brûlure et le chagrin ! Ô mon regard, tu ne cesses d’être noyé de larmes ! J’interpelle et questionne au sujet de cette âme, et c’est moi en vérité qui l’égare ; la folie, on le dit, est de diverses sortes ! Éperdu, je vais en tous sens ; j’interroge qui je rencontre ; je n’évite ni marcheurs ni cavaliers. Je leur dis : « Celui qui me réunira à moi-même, où donc est-il : que je sois à lui pour toujours ? » J’interroge encore sur la haute terre où est l’emplacement de ma tente. Je recherche avidement... la fraîcheur des deux oasis, Demeures où sont mes campements de printemps et d’été. Depuis que je naquis jusqu’au temps où je devins semblable à la saison d’hiver..."
Commentaires
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- 1. BELFEDHAL Abderrahmane Le 03/06/2023
Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme, interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure………………………………………….. L’émir Abdelkader.
Ami(es) et amis du noble site bonsoir.
Je remercie l’auteur de « la grandeur de l’émir » pour avoir partagé les émotions profondes d’un guerrier farouche qui venait de perdre sa liberté. Je salue également notre ami miliani 2keur qui en peu de mots avait fidèlement traduit le désarroi dans lequel vivait celui qui a combattu l’oppression avec courage et dignité… Merci pour ce texte déchirant. L’émir est à la fois un guerrier, un homme de foi et de religion, un poète, animé d’un sens très élevé d’humanisme et de tolérance. Poète à vous la parole, nous vous écoutons : Mon cœur est devenu apte à revêtir toutes les formes. Il est partagé par les gazelles, il est couvent pour les moines, temple pour les idoles et Kaaba pour le pèlerin. Il est les tables de la Torah et le livre du coran. Je professe la religion de l’amour, quelque soit le lieu vers lequel se dirigent ses caravanes. L’amour est ma loi et ma foi. Partant de cette conviction de notre émir, je vous propose à toutes et à tous un excellent passage plein de littérature publié en juin 2015 par Favélas décrivant un tableau affectif hors norme. Le poète est entièrement acquis par le charme d’une gazelle… Une gazelle d’un autre genre…Jaime voir la gazelle du désert, observer son ombre quand tombe la nuit. Je cherche sa proximité, mais elle s éloigne et me fuit. Cette gazelle, infidèle au serment refuse la compagnie du voisin ; elle se complait dans sa fierté, elle cultive l’arrogance. Grise par sa beauté, elle ne concède rien. Je la courtoise, elle me dédaigne, je sollicite l’échange de propos elle rejette ma demande, puis elle me couvre de reproches, alors le cœur exulte, car son reproche éteint mes brulures. L’émir en l’absence d’échange de propos va jusqu’ a souhaiter les reproches de la gazelle…face à ce dilemme notre Emir s’adressant au destin avait lancé cette prière : Destin serais tu généreux pour nous réunir ?... Le poète vivait déjà intérieurement le poids de la réponse… Mais tes vents sont contraires…le poète est convaincu que la femme est pure comme la gazelle, elle défend sa vertu et se drape dans une farouche dignité. Tout comme cette noble gazelle, le farouche guerrier puise son essence à partir de cette source pure à la fois saine, agréable et douce. Comme promis passons au bonus qui dit « la tssarej hata tlajem oula tetkalem hata tkhamem ». Le conseil qui nous est donné est de savoir classer les choses en fonction de leur logique pour les maitriser de façon équitable. Ne pas poser la selle avant d’insérer le mors dans la bouche du cheval. Par ailleurs la parole revêt un caractère de responsabilité, aussi ne parle pas avant de mesurer son impact… Tomber du dos de son cheval ou perdre sa crédibilité parmi les gens de la société est une chose regrettable à plus d’un titre. Dans l’attente d’un prochain bonus portez-vous bien. -
- 2. Miliani2Keur Le 02/06/2023
Merci pour ce texte déchirant...
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