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Ennayer

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Le calendrier berbère est issu du calendrier Julien, mais il n’en a emprunté à ce calendrier que la division de l’année en 12 mois et la dénomination de ses mois. Les rites ; les croyances et l’esprit de ce calendrier sont berbères. C’est un calendrier agraire que les paysans emploient pour leurs travaux.

Un décalage de 13 j est signalé entre le calendrier agricole berbère et le calendrier universel. Exemple : le printemps commence le 28 Février équivalent au 15 febraier et ainsi pour le reste.

Le mois Yennayer (Janvier calendrier Julien) est le point critique de l'année par excellence car il marque la séparation entre deux cycles solaires, aussi est-il appelé « la porte de l'année ».
C'est le moment où les provisions amassées pour l'hiver tirent à leur fin. Dans bien des régions montagneuses ce mois est placé sous le signe de la parcimonie sinon de la famine.
C’est un moment de convivialité familiale et les rites rencontrés sont les mêmes d'un bout à l'autre de l'Algérie et présentent bien peu de variantes entre les populations. Ils peuvent être ramenés à quatre idées principales : écarter la famine, présager de l’année à venir, consacrer le changement de cycle et accueillir sur terre les forces invisibles représentées par des personnages masqués.


I. Rites d'Ennayer

Les rites destinés à écarter la famine comprennent essentiellement un repas aussi copieux que possible servi tard dans la nuit avec, selon les usages locaux, la coutume de faire manger les enfants un peu au-delà de leur appétit. Ce rite est une gloutonnerie de bon augure plaçant la nouvelle année sous d'heureux auspices, Les aliments servis sont souvent les mêmes que ceux servis à l'occasion des labours : leur place à ce moment de l’année apparaît d'autant plus riche de signification que. d'une façon générale l’entrée du nouvel an d’ Ennayer marque la fin des labours et le milieu de la phase humide du cycle annuel.
Le jour qui précède Yennayer, soit le 12 janvier reste le plus important. La veille donc de cette fête, le repas est frugal. Le plus souvent on prépare berkukes, boulettes de semoule pétries avec de l’huile, des épices et de la menthe cuites dans la marmite dans un bouillon léger de fèves et de pois-chiches afin que l’année soit « verte et blanche», c'est-à-dire heureuse ou encore Chercham : un délicieux mets très simple avec un minimum d’ingrédients composé de fèves, pois chiche et blé dur que nous faisons tremper la veille et agréablement parfumé de cumin. Analogue à celle qui est servie au repas des labours.

La maîtresse de maison est la responsable de l’intendance et c’est elle qui détient la clé de «la chambre à provisions». L’expression «veiller au grain» prend ici toute sa signification.
C’est l’occasion de déployer son savoir-faire en cuisine. Carte blanche est donnée à la cuisinière d’utiliser ce que bon lui semble pour réussir, le «dîner de Yennayer». Ce diner doit comporter au moins sept variétés d’ingrédients secs : tomates séchées, pois chiches, fèves, lentilles, haricots blancs, haricots à l’œil noir, pois cassés.
Le poulet est de rigueur. Pour les nantis il est même recommandé d’égorger un poulet par personne : un coq pour l’homme ou un garçon et une poule pour la fille ou la femme. La femme enceinte doit bénéficier d’un couple : un coq et une poule pour ne pas vexer l’enfant qui attend de venir au monde. Sont à l’honneur les plats à base de semoule. Couscous bien sûr et autres berkukes (gros plomb un couscous avec un grain plus gros). Les crêpes, les beignets et d’autres plats à base de légumes secs sont servis largement assaisonnés d’huile d’olive de l’année de préférence. Les aliments trop salés ou amers doivent être évités absolument car dit-on l’année nouvelle aura les saveurs du repas de Yennayer !.

Par exemple, il est recommandé de beaucoup manger a ce repas afin de pouvoir satisfaire sa faim le reste de l’année. A cette occasion, au moins à l'un des repas des trois jours de fête, les citadins mangent des beignets ou « sfendj; », du poulet et des fruits secs et frais : les enfants en particulier doivent manger à satiété des fruits secs : noix, amandes, cacahuètes, noisettes, pignes et dattes ; remplacés actuellement par des confiseries. Le plat de friandises que partage la famille ce soir-là porte le nom de Traz: il se compose de fruits secs et de beignets avec un pain appelé « goraissa » dans lequel est placé un œuf. Les femmes disent aux enfants de manger beaucoup ce soir- là sinon Al Hadjouza del ennayer» — la vieille de janvier — viendrait leur ouvrir le ventre pour le remplir de paille, de foin et de son : ce qui est une façon symbolique de dire que si l’on ne mange pas des aliments de choix cette nuit de présages, on risque de devoir faire maigre chère l’année durant.

Le trez, assortiment d’amandes, noisettes, fruits secs et bonbons, est l’une des traditions les plus connues – et les plus prisées – de Yennayer. S’il est difficile de savoir à quand remonte la tradition, il apparaît tout au moins qu’elle existait déjà à l’ère andalouse. C’est en parcourant le recueil du grand poète populaire andalou Ibn-Quzman (1078 - 1160), Cheikh el-zajjalin (le prince des poètes populaires), comme on l’appelle, qui a vécu à l’époque almoravide, que nous sommes tombés sur ce texte curieux, où le poète, comme s’il se promenait dans le souk de Cordoue, sa ville natale, un jour de fête, nous décrit, le spectacle étonnant des marchands étalant, exactement comme de nos jours, fruits secs, gâteaux et autres friandises.

Il s’agit bien ici, dans cette première partie du texte (qui en compte trois : une description réaliste de la fête, une description métaphorique et un éloge personnel à un notable cordouan), de la fête de Yennayer, comme annoncé dans le vers introductif du zajal n°72 : «On pétrit (la pâte de) la brioche et les (cornes de) gazelles se vendent, se réjouit de Yennayer celui qui a de l’argent.»

Le poète, quoique désargenté, ne boude pas son plaisir devant le spectacle alléchant des étals joliment disposés qui s’offre à lui et ne se lasse pas de s’extasier devant l’art consommé de la présentation, nous dirions aujourd’hui merchandising, dont font montre les marchands cordouans. Et il a cette belle formule oxymorique pour décrire ce qu’il voit : «Eparpillement organisé, dispersion rassembleuse» (techtiten menadham, tefriq ijtimaa).
Ne s’agit-il pas du fameux «traz» ou «mkhallat» encore en usage chez nous ? Probablement, car nous retrouvons déjà chez Ibn-Quzman quasiment tous les ingrédients connus de ce mélange typique de Yennayer : amandes, châtaignes, dattes, noix, noisettes (jillaouz), glands, raisins secs, figues, prunes (‘ayn el-thour), limon (tronj), citron. Et, pour couronner le tout, il faudrait y ajouter, écrit-il, le palmier-nain (doum) et la canne à sucre !

Ces friandises sont présentées, semble-t-il, sur des tables basses (meïdas) et la reine de la table, proclame le poète, c’est le pain brioché, qui porte le nom, emprunté à la culture juive (selon l’arabisant dialectologue espagnol Corriente, spécialiste de l’arabe andalou, qui a édité le recueil dont nous sous sommes servi) de «halloun», «hala» (prononcé en hébreu «khala, pluriel «khalot») étant le nom de ce pain brioché tressé préparé par les israélites à l’occasion du shabbat. Voilà, peut-être là un ancêtre probable de notre fameuse brioche (mouna oranaise empruntée aux Espagnols chrétiens qui la consommaient à Pâques) que certains décorent avec un œuf ?

La tradition veut aussi que le benjamin de la famille soit installé dans un grand récipient en bois appelé «gass3a», «midouna» ou encore «jafna » à Alger, qui est un grand récipient en «alpha» où un mélange de bombons, dit « drezz » ou un mélange de fruits appelés « Djraz » soit délicatement déversé sur lui toujours en présage d’opulence future : les superstitions étant très importantes pendant l’antiquité.

 

Enfin, exceptionnellement, il sera déconseillé de débarrasser la table cette nuit-là…Toutes les familles laisseront sa part à «3jouzate Ennayer» (la vieille de Yennayer) qui passera pendant la nuit… Le rituel de Yennayer est aussi accompagné de la première coupe de cheveux pour les petits-enfants en leur préservant quelques mèches au dessus du front. Dans la soirée, on veille un peu tard pour accueillir le nouvel An amazigh. Ce qu’il y a lieu de retenir de cette fête et lui reconnaître au-delà de ses origines aussi discutables qu’incertaines, c’est d’abord que «Yennayer» semble avoir réconcilié les Algériens avec leur identité amazigh, mais aussi, pour réunir toute la famille autour d’un repas convivial et une ambiance chaleureuse, chose qui ce fait occasionnellement hélas !

Dès que le repas est terminé, la maîtresse de maison demande à chacun s'il a bien mange, à quoi tout le monde répond : « nous sommes rassasiés ».
Les génies gardiens participent aussi au repas familial, les humbles génies de la maison présents dans le seuil de la porte, les pierres du foyer, le métier à lisser et le moulin de pierre. Ils reçoivent leur part de ce festin que partagent des gens dont les provisions sont à la veille d'être épuisées :

Nous avons déjà remarqué la présence de ces aliments dans les rites liés à la fécondité et à l’abondance du labour et du mariage. Les membres de la famille et surtout les enfants ne doivent pas tout consommer. Les parents menacent les tout-petits de la venue d'une ogresse «'Hadjouzat ennayer» — la Vieille de Yennayer — à laquelle il faut laisser un peu de nourriture sur les pierres du foyer.

La légende raconte que les enfants, en se réveillant le lendemain ne se rendent compte de rien mais auront toujours froid tout au long de leur vie sans pouvoir se réchauffer, car ils auront une peur bleue de l’âtre. C’est peut être de là que vient le proverbe largement répandu qui dit: « lli fi kerchou tben ikhaf min ennar ».Littéralement : «celui dont le ventre est plein de paille a peur du feu» ! On rencontre en français une expression similaire : ‘’ avoir la peur au ventre ‘’.
Le châtiment est donc la crainte de perdre le bienfait du feu ! Nous retrouvons cette légende dans la culture populaire, même chez les citadins !

Dans les bourgs, à défaut des trois pierres du foyer que possèdent toutes les maisons paysannes, la part de l'invisible est souvent laissée à la cuisine. Quelquefois, de plus en plus maintenant, se greffe un élément qui semble emprunté aux traditions populaires du Noël chrétien : les enfants déposent la part de l'invisible, la part de la Vieille de Ennayer, en espérant trouver à la place le lendemain matin des jouets et des friandises ; don laissé par « Hadjouzat ennayer — la vieille.
La maîtresse de maison prépare de petites couronnes de pâtes surmontées d'un œuf appelées localement « Goraissa », en nombre égal à celui des enfants de ta maison. On recommande aux enfants de garder dans le plat commun, la part de la Vieille de Ennayer ; quitte à se priver eux-mêmes, car sinon elle risquerait de leur ouvrir le ventre. Pour éviter cet accident, les enfants mettent leurs friandises dans de petits sacs qu’ils portent suspendus à leur cou.

Chez les montagnards, les enfants portent des colliers de figues, de grenades et de noix dont, le pendentif est constitué par le gâteau, qui n'est pas une simple friandise mais un substitut de l'enfant offert aux dangereuses forces invisibles en liberté cette nuit-là et que symbolise la Vieille de Ennayer.
Le père choisit le nouvel an d’ Ennayer qui suit la naissance d'un garçon pour effectuer la première coupe de cheveux. Devant les très proches parents, il coupe sur la tête de son fils quatre mèches : sur la tempe droite, la tempe gauche, le front et la nuque. Pour cette circonstance, la mère prépare un couscous à la viande et aux fèves que les alliés et les parents viennent partager et dont une part est offerte aux pauvres et aux mendiants, messagers de l 'Invisible.


II. Les présages de l'année à venir :

1- Les quatre écuelles
La maîtresse de maison prend quatre petites marmites de terre cuite. Elle dépose dans chacune d'elles un gros morceau de sel gemme et les aligne ensuite sur le toit. La première marmite représente le mois de janvier — ennayer — , la seconde, février — chebrayr — , la troisième, mars — meghres — , la quatrième, avril — ibrir. Le lendemain elle augurera de l'humidité de chacun de ces mois, si importants pour la culture, d'après la façon dont le sel de chaque marmite aura fondu a la rosée.

2-
Les quatre marmites
Chacune représente une saison elles sont placées sur le toit de la maison durant la nuit de Yennayer. Dans chacune on pose une boule de pâte et du sel, dans d’autres régions on y mettra des pois-chiches ou autres légumes secs. L’exercice consistera à déceler l’humidité de chaque saison et de là sa richesse. Le légume sec qui aura abondamment gonflé sera le gagnant et suivant la position de la marmite on sait de quelle saison il s’agit.
Beaucoup de grand-mères se réveillent la nuit pour inspecter les marmites avant les autres et vont jusqu'à tricher en ajoutant un peu de levure pour l’automne et l’été.

3-
Boules de pâte et sel
Les boules cette fois sont au nombre de douze et chacune va représenter un mois de l’année. Le but est le même qu’avec les quatre marmites. Il va falloir guetter le comportement du sel et de la pâte : y aura-t-il interaction ? La boule de pate aura-t-elle pris tout le sel ou restera-il beaucoup de cette substance qui, dans ce cas précis, comme dans d’autres, représente l’argent. C'est le maître de maison, qui, au matin, présage de l’année à venir d'après l’état des cristaux de sel.
Si une boule attire vers elle tout le sel qui est mis de son côté alors ça voudra dire que ce sera un mois de dépense… peut-être une maladie ? Dira la mauvaise langue. Non ce sera un heureux événement, pourquoi pas le mariage du cadet, la circoncision du plus petit ou…

4-
Lecture sur crêpes
Une face de la crêpe est présentée au feu. Elle prend des couleurs et il y a des formes qui se dessinent sur sa surface. Une condition est à observer pour ne pas brouiller la lecture : il faut que tout le monde soit assis sinon on ne verrait que les souliers de ceux qui sont debout.
Assis autour de l’âtre, on procède à la cuisson de la première crêpe qui est destinée à la maîtresse de maison. Est-elle trop grillée donc noirâtre, trop blanche, mélange des deux ? On dira que la maîtresse de maison a le cœur de sa crêpe ! Des motifs sont-ils dessinés sur cette face ? À quoi ressemblent-ils ? La forme du soulier est synonyme de départ vers une autre maison ! Un déménagement, un mariage ?…

À Miliana, le soir d' ennayer. La maîtresse de maison ne doit pas ceinturer d'un linge, comme elle le fait d'habitude, la marmite et le couscoussier superposé destiné à la cuisson du couscous : si elle le faisait ce soir-là « l’année serait fermée ».
Le linge qui entoure la marmite à cuire le couscous est le symbole même de l'arrêt de toute fécondité.


III. Les jours de la Vieille

La jonction entre les deux années est une période critique, si les rites que l'en trouve ne varient que bien peu d'une région à l'autre de la Méditerranée, le moment même de cette période est incertain. Nous avons vu que les rites de changement de cycle marquent une certaine hésitation suivant les régions entre hiver et printemps, aussi nous verrons que les jours critiques de ce changement varient quant à leur incidence exacte d'une région à l'autre, entre décembre et janvier, janvier et février, mars et avril et même quelquefois avril et mai,
Mais, dans celte incohérence chronologique apparente, un élément reste stable : le scénario du drame mythique qui a donné son nom aux « jours de la Vieille ».

1. Certains considèrent qu’il y a plus coïncidence entre la période critique des jours de la Vieille et le début de l'année et lui confère le nom « hadjouza — la vieille ». C’est, disent les paysans, le nom d'une vieille femme qui fut enlevée par la crue d’un torrent avec les chèvres qu'elle gardait.

2. Certains paysans connaissent la Vieille * Hadjouza * mais en situent l'incidence à la Mi-Ennayer, soit la fin de Janvier. Elle n'était pas sortie depuis le début de l’hiver par crainte du froid; mais, tentée par une journée ensoleillée, elle emmena paître son veau en disant : ‘’ je t'ai trompé Ô Ennayer. Je t'ai doublé avec mon veau ‘’. Ennayer irrité demanda à l’hiver une recrudescence de froid : une tempête de pluie et de neige survint qui fit périr la Vieille et son veau.

3. Nous retrouvons une histoire analogue qui se situe à la fin de Ennayer. Cette fois la Vieille avait une vache et un veau et barattait son lait pour en faire du beurre dans l'outre « la.chekoua », rythmant ses mouvements sur un chant improvisé : Ennayer est sorti en bien. Je l’ai échappé belle’’. Ennayer l'entendit et demanda à soit cousin Fourar de lui prêter un jour, puis le prêt accordé, il déchaîna un orage. La rivière gonflée emporta la Vieille jusqu'à la mer où elle se noya, elle, sa vache et son veau.
Ce jour-là — le jour de l'emprunt — les paysans ne sortent pas et ne laissent pas non plus sortir leur bétail. Il est rare, disent- ils, qu'un violent orage ne vienne pas rappeler le châtiment infligé par Janvier à la vieille.

A la fin du mois de janvier, tout propriétaire bœufs va dans son étable avant le lever du soleil et crie trois fois dans l'oreille droite de chaque animal : « bonne nouvelle! Yannyer est fini *,
Pour expliquer cette coutume, les paysans disent que les bœufs sont sujets à toutes sortes de maladies pendant le mois de Yannayer. Au temps où ils paissaient, ils ont promis que tout homme qui leur annoncerait la fin de Yannayer et de leurs maux aurait d'eux en retour la nouvelle qu'il irait au Paradis.

Par amarBCH

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