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La Puce !...

L’enfance a des souvenirs que l âge adulte n’a jamais retrouvés…………………Paul Eluard.

À toutes et à tous Essalem.
Remontant le cours de l’histoire, notre ami Amar Belkhodja évoque pour nous le récit d’un élève de l’école indigène à qui on avait collé le surnom : La Puce. Si Amar nous avons le plaisir de vous écouter :

Les années 1940 et 1950 sont peut-être les années les plus dramatiques, plus particulièrement pour les enfants algériens qui, déjà prolifèrent dans un pays complètement ravagé par le colonialisme français.

Noureddine avait 11ans en 1951. Il fréquentait l’une des premières et rares écoles indigènes. Sa petite taille le distinguait de tous les autres écoliers. Menu et chétif, yeux clairs, les sourcils denses et foncés, Noureddine donnait l’impression d’être agressif et méchant. Les traits du visage ne sont pas toujours révélateurs des véritables traits du caractère. Les sourcils de Noureddine trompaient ils ? Ils cachaient en fait une timidité maladive. En revanche à l’école, Noureddine était studieux, laborieux et brillant dans presque toutes les matières, a l’exception de l’histoire (entendre histoire de nos ancêtres les gaulois), une matière qui ne pouvait se loger dans sa mémoire.

Le plus menu et le plus petit de la classe, il avait droit à un surnom. C’était l’instituteur, fils de médecin de la cité, le vieux Tchérepoff, qui le lui avait donné… la Puce. Les autres écoliers étaient contents que le maitre ait trouvé un surnom à Noureddine. C’était le seul élève qui n’avait pas de sobriquet. Le monde des enfants est féru de surnoms. Gare à celui qui a le malheur de commettre des incorrections dans la prononciation des mots ou de dire une insanité. Aussitôt, on lui colle un surnom qu’il trainera parfois toute sa vie à l’image de aicha touila, quatre zyeux, bounif, Noss barad, bouftou, nagos, et ce ne sont en fait que quelques échantillons d’une longue liste à énumérer. Maintenant que Noureddine a son surnom : la Puce ( Cibana), tous les autres marmots de la classe, voire de l’école, sont satisfaits. Il n’y pas de jaloux.

La Puce, comme la majorité des enfants, était issu d’une famille pauvre. Sa mère fut très tôt veuve. A 35 ans, elle se retrouve sans la moindre ressource, seule avec sept enfants. Comment traverser les tempêtes de l’existence, comment éviter les injures du temps et l’opprobre familial ? Il serait si triste et si malheureux de relater les naufrages collectifs de la société algérienne face au racisme d’un colonisateur féroce et inhumain. Ce prédateur, conçu pour piller, gaspiller, vivre aux crochets et aux dépens d’autrui qu’il a pu dominer, grâce à sa technique et à sa haute technologie de la mort, est né pour tuer.

Les carences alimentaires, la Puce allait les compenser partiellement a la cantine. Les repas étaient distribues dans une école de la ville, notamment l’école essikria actuellement Ben Badis. Par processions, deux par deux, les écoliers traversaient certaines artères de la cité, a pas cadencés et au rythme des cuillères qu’ on battait contre des assiettes en tôle… Rabiot ami robles…Rabiot…criaient les enfants, dressant leurs assiettes a la face du serveur, un espagnol, devenu le père nourricier des écoliers qui, affamés, avalaient avec un bruit particulier des plats de pois cassés ou de lentilles mélangées aux pates.

Sous développés, a tous les niveaux, les enfants algériens s’accrochaient tant bien que mal au radeau des adultes. Toute la société algérienne chavirait sur la géante embarcation de la misère ; du chômage et de la maladie.
La Puce avait la chance d’être le benjamin (comme Youcef) parmi ses frères. Ceux-ci lui léguaient leurs vieux habits qu’il fallait évidemment retoucher pour mieux les ajuster à sa taille, lui le plus petit des enfants de l’école.
Si la mère trouvait toujours une solution pour les habits grâce a quelques coups de ciseaux, il n’y avait, par contre aucune possibilité de transformer les chaussures à la pointure de Noureddine, surtout que la puce avait de petits pieds. A cette époque, les chaussures les plus courantes étaient les espadrilles, soit en semelles de caoutchouc, soit en semelles de fil tressé que les commerçants mozabites nous refilaient contre une pièce de cinq sous.

Les chaussures, voilà un sujet qui a souvent persécuté la Puce. Dans sa mémoire, il garde toujours des souvenirs liés au manque de chaussures. Un jour de décembre, il neigea fortement sur cette ville des hauts plateaux. La Puce se réveilla avec une mine consternée… comment joindre l’école alors qu’il n’avait rien à se mettre, ni sous la dent, ni même sous les pieds. Sa paire d’espadrilles se trouvait en lambeaux. Autant marcher pieds nus. Pourquoi pas ? La Puce accroche sa musette (la musette militaire faisait office de cartable pour un grand nombre d’écoliers) au dos et foula la neige de ses pieds menus et fragiles. En cours de route, ses pieds bleuirent de froid. La Puce ne les sentait plus. Il pleurait silencieusement. Il arriva en classe avec quelques minutes de retard dans un état pitoyable. Ses camarades criaient presque tous ensemble. Regardez, monsieur, la Puce est arrivé. La Puce est pieds nus. Le maitre de classe se précipitât pour porter assistance à l’enfant dont les pieds étaient meurtris par le froid. La Puce se réchauffa près du poêle ou crépitent de grosses buches que des élevés de corvée, allumaient tôt le matin avant l’ouverture de la classe. Ravi de tant de sollicitude, la Puce pleurait à chaudes larmes. Il ne pleurait pas sa douleur physique mais sa misère, celle de sa mère qui, pour nourrir ses enfants se tuait au tissage. La misère d’une mère laissée dans une petite chambre, a coin d’une cheminée ou se consumait un feu de bois ramené dans une proche foret ou dans un des rares chantiers de la ville.

En fin de classe, l’instituteur gratifia la Puce d’une solide paire de chaussures d’hiver qui lui resta plusieurs saisons de suite. Il y eu un autre souvenir de pieds nus dans l’enfance de la Puce. L’évènement se déroula cette fois ci en été. Que les enfants chaussent des espadrilles ou marcher pieds nus, il n ya pas grand mal. L’été est une saison fort louée et réconfortante pour les familles algériennes qui se font moins de souci qu’en hiver pour se chauffer, se nourrir ou se vêtir. La distribution des prix de fin d’année scolaire était proche. La Puce raflait chaque année deux ou trois livres de récompense. C’était une compensation morale. Les cérémonies se déroulaient sur la place publique (ex place carnot). L’inspecteur d’académie venait d’Oran pour présider l’évènement. La Puce parmi la foule, devait aller recevoir des mains de l’inspecteur d’académie prix annuel. Il était angoissé. Comment affronterait-il les publics pieds nus ? C’était aussi une honte que de se présenter en compagnie des autres élèves surtout français, qui avaient mis, pour la circonstance leurs plus beaux habits. Le jeune écolier solitaire, exécutait des va et vient, en dehors de l’enceinte, ne sachant comment répondre à l’appel de l’établissement quand on citera son nom. Quelle joie d’aller retirer le paquet de livres et enfin courir au domicile familial le montrer à sa mère et arracher aux voisins des félicitations. On va l’appeler d’un instant à l’autre, d’une minute à l’autre. Mais que faire ? Se présenter a une distribution de prix pieds nus, c’est une honte. L’instituteur ne sera pas content. Le miracle arriva, Moussafer Bensouna, un ancien camarade de classe passait sur la place. La Puce l accoste…S il te plait, Bensouna, passe-moi tes tennis, juste le temps de retirer mon prix scolaire. Aussitôt dit, aussitôt fait. Bensouna se déchaussa. La paire de tennis changea de pieds. A ce moment précis, le haut-parleur diffusa le nom de Noureddine, élève de cours moyen première année. Heureuse coïncidence. Fier, la Puce, monte sur l’estrade et retira ses prix et reçut les compliments. Plus tard, la Puce lira le grand livre d’histoire de son pays qui livra le prestigieux combat libérateur de Novembre 1954. Si certains évitent de se regarder dans ce miroir, d’autres l’auront carrément brisé. Ainsi, ils n’évolueront jamais à l’échelle de la culture et de la civilisation.

Mes chers amis du très noble site, je devais normalement continuer à parler du reste des passages de la vieille cité et ils sont nombreux, mais voilà que suite à une récente rencontre avec Amar Belkhodja et comme d’habitude on profitait de l’instant pour discuter de quelque chose souvent intéressante.
Pour cette fois ci je lui ai posé une question précise : Si Amar, je lis actuellement votre livre mémoire miroir et je voudrais avoir une idée sur ce brillant élève surnommé la Puce… qu’est-il devenu…est-il de ce monde ? Si Amar avait de suite affiché un regard si profond comme s’il essayait de scruter les horizons lointains puis finalement, avec une note de fierté, il me dit : La Puce ? Eh bien c’est moi.

Quelques instants plus tard, chemin faisant vers mon lieu de travail, l’image de la Puce s est placardé dans mon fort intérieur. Elle venait de prendre place dans tous mes sens. Place Carnot, la classe indigène, cet inspecteur venu d’Oran afin de parrainer un évènement de taille…et des pieds nus vivant les instants les plus dramatiques dans l’attente de recevoir le sacre…Tandis que la Puce recevait le prix de la sueur de son front, son camarade de classe Bensouna recevait lui aussi et à sa manière l’offrande la plus gracieuse mixée dans le brassage des mots les plus humains et les plus fantastiques car quo i de plus vrai que cette camaraderie si chaude et si expressive qui n'a d'égal que les sentiments exprimés par notre écrivain et historien, Amar Belkhodja.

Mes chers amis du fabuleux Alger Miliana, je vous souhaite bonne lecture. Mon grand souhait de prompte guérison pour l’amie de notre chère amie noria. À bientôt.

 

Par BELFEDHAL Abderrahmane

Commentaires

  • Bradai
    • 1. Bradai Le 17/11/2024
    Un bonjour à tous les amis(es) du Site et prompte retablissement à LAMiE.
  • noria
    Un texte vibrant qui reflète les défis de l’enfance sous le colonialisme, sublimé par une touchante solidarité et une leçon d’humanité.
    Cher ami Abderrahmane, un énorme Merci pour ce partage poignant et pour vos vœux sincères pour mon amie et celle du site. À bientôt !

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