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COMPTE RENDU DU LECTURE

LES MOTS QU’ON NE ME DIT PAS
Véronique Poulain
(Editions Stock°

Sans titre 36 Véronique Poulain est née de parents sourds-muets. Dans ce livre, elle nous raconte son parcours de petite fille « entendante » élevée par des parents qui ne l'étaient pas ! Puis, elle nous décrit son adolescence et enfin les angoisses d'une femme lorsqu'elle envisage de devenir, à son tour, maman.

Que d'émotions dans ce récit ! Tout au long de ce livre, l'auteur nous révèle avec une très grande franchise ses pensées de chaque instant, sa haine, ses révoltes qu'elle tourne parfois en dérision avec humour. Sans oublier sa culpabilité vis-à-vis de ses parents dont elle a honte. Son envie de communiquer par la parole avec eux provoque chez elle une telle souffrance qu'elle a parfois envie de mourir.

Elle se souvient de sa première rentrée des classes qui sera pour elle fantastique. Sa découverte de la lecture est une véritable révélation. Elle se dit, enfin, qu'elle va avoir une vie intéressante. « Je dévore les mots qu'on ne me dit pas » dit-elle.

Pour les « entendants » - dont je fais partie - je découvre à la lecture de ce livre un univers que je n'imaginais pas ; des choses auxquelles on ne pense pas quand on est « privilégiés » puisqu'il suffit qu'une personne prenne la parole, qu'on lui réponde et qu'ainsi s'établisse instantanément un dialogue. Pour Véronique, tout sera difficile dans son parcours. Par exemple, lorsque petite fille, elle se perd dans une grande surface et qu'on lui demande son nom afin de passer une annonce dans le micro … Véronique sait bien que ses parents ne pourront pas entendre cette annonce ! Ou encore, pour l'un de ses anniversaires : Elle a neuf ans. Plusieurs copines sont présentes. La maman de Véronique fait ce qu'elle peut pour combler son impossibilité de communiquer par la parole. Véronique est triste et se dit que ce n'est pas à elle, sa maman, de s'adapter mais à ses copines. Bien qu'elle admette sa honte d'avoir des parents sourds et muets, il suffit qu'un enfant s'avise de se moquer de sa mère ou de son père pour que Véronique les défende avec une rage inouïe.

Mais la vie sera la plus forte ! En 1977, deux américains créent un mouvement associatif afin que les sourds - eux aussi - puissent accéder à la culture par des méthodes spécifiques et appropriées. C'est dans les années quatre-vingts que germe en France cette même idée. Les parents de Véronique sont tellement enthousiasmés qu'ils en abandonnent leurs métiers d'ouvrier et de mécanographe pour devenir « professeurs » dans leur propre langue ! Lorsque la gauche passera au pouvoir, le Ministre de la Culture leur attribuera des locaux afin que puissent se développer en France les mêmes possibilités qu'aux Etats Unis, à savoir, créer une école de langue des signes, une troupe de théâtre, l'accès pour tous les sourds à la littérature, la psychologie, etc. Une véritable révolution ! Ainsi que le dit si justement l'auteur : « les sourds font leur coming out » !

Au fil des mois, la vie de ses parents et de Véronique elle-même va se transformer. En ce qui concerne son père qui donne des cours de langue des signes, il est adoré par tous ses élèves. Ses salles de cours ne désemplissent pas. Même si Véronique est dubitative, elle est tellement fière de ses parents qu'elle se demande si son refus de leur handicap ne l'a pas rendue insensible au reste. Son admiration pour eux est telle qu'elle décidera de faire du théâtre avec eux. Leur combat devient le sien ! Ce qui fera dire à Véronique : « Mes parents sont touchés et fiers de voir que leur épouvantable fille les reconnaît enfin ».

Aujourd'hui, Véronique est maman de deux enfants, tous deux « entendants » comme elle et leur papa. Mais que d'angoisses avaient assailli Véronique lors de sa première grossesse. Et si elle mettait au monde un bébé « sourd-muet » ? Le médecin trouve les mots qui la rassurent. Lorsque sa petite fille vient au monde, elle se dit que si elle est sourde, elle l'aimera quand même ! Elle ne peut cependant pas s'empêcher de frapper dans ses mains pour vérifier si son bébé sursaute ou pas. Trois années plus tard, Véronique mettra au monde un deuxième enfant, un petit garçon. Comme avec sa petite fille, elle frappera dans ses mains et le bébé réagira comme sa sœur. Ainsi que le dit Véronique pour clore ce chapitre : « Fin de la malédiction ».

Pour terminer ce compte rendu de lecture, je laisse la parole à Véronique qui, avec le recul et forte de cette expérience, nous parle de sa relation avec ses parents :

« Je les ai adorés. Je les ai détestés. Je les ai rejetés. Je les ai admirés. J'ai eu honte. J'ai voulu les protéger. Je me suis ennuyée. J'ai culpabilisé. Le fantasme du parent qui parle et dit a existé longtemps. Plus aujourd'hui.

Aujourd'hui, je suis fière. Je les revendique. Surtout, je les aime. Je veux qu'ils le sachent »

Par Chantal VINCENT

Commentaires

  • Chantal
    Bien vu ! Meskellil ! On ne souffre pas, forcément, de handicap lorsqu'on ne s'exprime pas par des « mots ». Parfois, c'est tout simplement une « pudeur discrète » qui en est la cause. Quant au fait que l'absence de mots ne signifie pas nécessairement absence d'amour, Victor Hugo l'a très bien exprimé et, en très peu de "mots" : « Aimer, c'est agir ».
  • Meskellil
    • 2. Meskellil Le 08/11/2014
    Bonjour Chantal,

    Quel bel hommage à la vie ! Célébrer la vie dans toutes ses formes ! Témoignage très touchant, très émouvant parce que furieusement humain. A l’image de tous les textes que tu nous fais partager Chantal ! Pour cela merci beaucoup pour ta sensibilité, ta réceptivité, ton empathie.

    Ce témoignage nous renvoie à notre humanité propre. L’histoire de Véronique, sa vie, son amour, ses doutes, ses souffrances, son combat, son appel à la vie revêtent une dimension universelle. L’absence ou la carence des mots, de dialogue peuvent se trouver chez tout un chacun même en l’absence de handicap physique. Les effets sont tout aussi douloureux, génèrent tout autant de souffrance.

    Cependant, absence de mots ne signifie pas toujours absence d’amour, de tendresse, d’affection et Véronique l’a bien compris. Merci encore Chantal pour ce témoignage émotion(s).

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