Décalages
- Par Meskellil
- Le 11/06/2024
- Dans Le coin de Meskellil
- 2 commentaires
Réveil matinal. Nuit relativement calme. Sensation diffuse mais persistante de décalage qui tourne en boucle, me colle à la peau. Depuis quand déjà ?
J’ai un truc urgent à faire dès ce matin… Je déjeunerai après…
Les clés de la voiture, les papiers, le GPS, précieux compagnon quoi que pas toujours utile. Je prends l’ascenseur qui se meut lourdement, blasé par ces va-et-vient permanents. J’aurais pu prendre les escaliers tout de même! …
Tout est vert dehors. Les arbres n’ont pas encore atteint leur pleine maturité, ils prennent leur temps pour s’épanouir... Pâquerettes, boutons d’or…, plus de violettes, dommage, c’est fini. Boutons d’or ? Tiens ! C’est nouveau ! Une toile immense verte parsemée de tâches blanches et jaunes. Un vrai ravissement ! Une brise intérieure tiède, légère, douce, traverse mon être. Il pleut… Le soleil chaud, bienfaisant me manque…, il aurait donné un éclat exceptionnel à ce magnifique tableau…
Quelques marches et me voilà devant l’entrée du parking souterrain collectif. L’esprit vaporeux, inconsistant, immatériel, flottant… j’ouvre la première porte qui donne sur une sorte de sas. Je change de clé, ouvre la seconde porte… Parfaitement grotesque, injustifiée cette frénésie à vouloir se barricader, barricader ses biens, s’y accrocher désespérément, comme à un fétu de paille dans une mer houleuse… se barricader contre qui, contre quoi ? Complètement absurde ! Déphasage total !
J’arrive au garage, une odeur familière de gasoil me prend à la gorge. Désagréable. Il aurait besoin d’être nettoyé à coups de Karcher ce parking ! Tiens ! Ça me rappelle quelqu’un ! « Descends là que je te casse la gueule » avait-il vociféré!
C’est le weekend, le parking est plein à craquer de voitures. Il faudra plusieurs manœuvres pour en sortir…
Je monte dans la voiture, me demande si le moteur est en phase, je tourne la clé. Il me répond joyeusement ! Bingo ! La radio réglée sur Nostalgie la dernière fois se met en marche aussi. Pierre Bachelet crie avec une impuissance poignante, infinie « et moi je suis tombé en esclavage… ».
L’esprit toujours dispersé, insaisissable, je prends la route familière. Tout est là, bien en place, bien en ordre, propre, rectiligne. L’ordre aseptisé aujourd’hui, le désordre grouillant et indiscipliné hier! Excessifs l’un comme l’autre! Décalage encore spatial, temporel…
Je finis de faire ce que j’avais à faire, et me dirige vers une grande surface, un véritable monstre. Ça vient d’ouvrir. Quelques victimes sont déjà là profitant de l’aubaine si rare d’un lieu de haute consommation presque désert, habituellement débordant, repu de gens et de victuailles, jusqu’à la nausée, jusqu’à l’épuisement. Je réalise que j’en fais partie puisque je suis là… Je m’arrête…
J’ai envie de jus d’orange frais ! Je m’enfonce dans une débauche de lumières artificielles, froides, agressives… Mon soleil n’est plus. Il m’a lâchée à moins que ce soit moi qui l’ai lâché… Pulsion, phasage hier, déphasage aujourd’hui… Fin de cycle…Un nouveau commence plus complexe, incertain, inédit...
Je passe par le rayon des fleurs. Promotion – 40% sur les brins de muguet porte-bonheur. Je cède à la tentation comme à la tradition d’offrir des brins de muguet. Je me fais plaisir et m’en offre deux. Ils sentent divinement bons. A nouveau je me sens en phase, et ressens cette tiédeur agréable palpitante se répandre en moi. Mon esprit me rejoint. Je suis bien. L’instant de cette fragrance printanière pleine, tonique, pétillante. L’éphémère se prolonge, mais sans l’enchantement de la première fois. Je passe en caisse puis quitte rapidement ce lieu.
J’ai envie de croissants chauds. Je vais à la boulangerie du coin. Là aussi promotion. Pour trois croissants achetés, le quatrième est offert. C’est la toute première fournée du matin. A peine tiède. Tant pis. Distraite, je le suis. La vendeuse me sourit poliment et me fait répéter ma commande. J’ai l’impression de hurler « Six croissants s’il vous plait ». La vendeuse qui est là depuis longtemps a perdu son entrain et sa joie de vivre légendaire avec le changement de propriétaire. Elle avait des échanges personnalisés avec tous les clients, et avait pour chacune et chacun une attention particulière, un mot gentil. Les échanges se sont réduits au strictement utile, vendre. Je lui tends l’argent. Elle me rappelle que c’est la machine qui encaisse et rend la monnaie. Je l’oublie toujours. Décadence et déshumanisation. Décalage perpétuel éprouvant. La vendeuse grimace un sourire. Une ombre assombrit son regard, et me contamine.
Je repars vers le parking. Tant d’espace ! Non, les gens n’étaient pas allés à la manif du 1er mai, les revendications, ce sont les autres qui les font. De toute façon, ça ne sert à rien ! Résignés, fatalistes. Tiens, j’ai déjà vécu ça, seulement hier ! Les jours et les propos se ressemblent dans un monde où tout s’achète et tout se vend, y compris son âme ! Les gens se nourrissent, se gavent à leur télé ou à leur ordi, du Fast Food en continu. Question d’optique…
L’esprit imprégné d’un certain désordre -qu’est-ce qu’on prend vite le pli, el welf kif sahel!- je grille allègrement stops et sens interdits. Ce n’est qu’un immense parking clairsemé de voitures après tout ! Je reprends la route du retour, l’esprit toujours en vogue, « Opération déstockage de matelas Haut de Gamme le 1er, le 2, et le 3 mai » lis-je sur une pancarte opportuniste. Le message s’insinue sournoisement dans mon esprit. Et si je changeais de matelas ? Mais de quoi, le matelas ? Il est très bien mon matelas ! « Souviens-toi, c’était un jeudi… », Joe Dassin chantant sur Radio Nostalgie. En phase, je fredonne le refrain à l’unisson avec lui, entre dans son histoire, l’esprit à nouveau vagabond…
J’arrive presque lorsque je vois, bonheur absolu, des lilas en fleurs. Ils sont là, libres, accessibles, offerts aux sens. Aucune clôture ne les enferme. Ils sont à tous. Pour l’instant! Harmonie parfaite. Je m’arrête, m’en approche, le cœur et l’esprit aériens. Je fourre mon nez dans les grappes et commence à les humer longuement, profondément. Un parfum si subtil, si sensuel, si addictif... Grisant! Ephémère le lilas. Un mois tout au plus. Jaloux de l’authenticité de son parfum, au même titre que le muguet encore plus fugace. Tous deux refusent catégoriquement de se livrer aux parfumeurs, les contraignant aux compositions de synthèse. Belle résistance…
Enfin, j’arrive, les bras chargés de fleurs, de croissants et de jus d’orange frais. Je mets en route la cafetière, mets les lilas dans un grand vase, le muguet dans un autre plus petit, les croissants au four pour les chauffer. Le café fume et exhale son arôme irrésistible ! Je me mets à table et déguste le jus, le café, les croissants, les fleurs aussi. Un moment de plaisir, de bien-être simple mais intense. Je me sens bien, si bien, phasage total…Tout comme hier sur le banc d'un jardin sous ces grands et beaux arbres.
Phasage, déphasage ? Et si c’était simplement une question de regard, d’écoute, de réceptivité, de compréhension, d’ouverture, de confiance, de disponibilité, d’attention, de sincérité, de spontanéité....
Commentaires
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- 1. Meskellil Le 08/05/2015
Commentaire corrosif participant de cette table de saveurs que tu évoques avec délectation, on en redemanderait !! Un peu alambiqué, grinçant, un tantinet torturé, déconcerté, hésitant aussi, bien que pesant pleinement les mots et leur poids, parfois excessif.
Donc, un texte exquis ! Du Miliani2Keur pur jus, du concentré ! Je continue ma dégustation et ne boude pas mon plaisir, bien au fait de son caractère éphémère. Je prends mon temps... Phasage total…
Ooooh… ! Arghh… !......... ??!! Voilà qu’un mot fait fausse route ! je tousse, mais je tousse… ! ! A en cracher mes poumons !! Entre deux hoquets : « Hlalek Oua Echerqa Lmarte Khalek !!». Pauvre Tata !! Déphasage total…
Je croyais que tu avais arrondi et les angles et les ongles Miliani2Keur !!!
Humour, humeur... J’en ris vraiment et de bon Keur !
Que vas-tu sortir au prochain coup derrière la tête ?!! (Sourire) -
- 2. Miliani2Keur Le 07/05/2015
Texte charniére ... je commente ayant lu juste la moitié,
la désagregation de la forme au benefice du fugace, de l'emotion, de l'instant sont la, l'exercice est bluffant surtout ne sachant comment il fut rédigé, enregistré, la deuxiéme moitié est plus formelle, conventionelle, sueurs! déliement de l'auteur, en plus de ma position singuliére! pour corser le tout des questionnement du social/politique immédiat et global, le constat du beuglant publicitaire laminaire sors du texte psycho-égoiste, gloire a l'instant a la trace ... j'ecris mon commentaire et reviens lire par bribes, perfide, surtout inquiét, et reviens constater la joie d'étre/avoir été a cette table de saveurs arrachés fretillants a la guangue de l'ordinaire...
le dégat est la a 98%, le reste renronnances intellectualistes
des rémanences des rencontre me restent 3 instants intenses, d'autres Algermilianautes qui écrivent, ou qui témoignent, trés vrais et un fantasme de texte ...
le MeskEllil est fourbe, prévenus!
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