Les vendeurs de rêves
- Par algermiliana
- Le 06/07/2014
- Dans Le coin de Mohamed-Rachid YAHIAOUI
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Lobo, Chrif et la "Boulitique"
Cette histoire est axée d’abord sur LOBO… ah ou, il faut que je vous dise que ce n’est pas LOBO KID le héros du western spaghetti de Sergio Leon, notre LOBO a nous autres habitants de notre Douar des Cèdres accroché comme une aire d’aigle au pied de l’Ouarsenis est, par euphémisme, un simple d’esprit que je ne saurai lui attribuer un autre qualificatif. Il est tellement sympathique, tellement imbécile heureux et tellement rigolo que, de mémoire je ne l’ai jamais vu triste. Sa crédulité l’aura surement amené à taper des mains et des pieds et à sautiller comme un primate s’il était vivant lorsque le nuage « Allah » a été vu au stade du 5 Juillet. Avec son éternel sourire pendu aux lèvres, tout le monde se l’arrachait de sorte qu’il trouve toujours son compte : l’un lui paye un café, l’autre un paquet d’Afras ou un casse-croute chez Belgique, le marchand de « chwa ». Il vivait comme un pacha, le veinard. Quand LOBO est contrarié, il s’énerve en souriant et lance à la volée : « Akhnaaaa, Ouallah en’maylak » et part traînant sa carcasse en maugréant. Pour l’instant, mettons entre parenthèses LOBO pour vous dire que là où cela devint très sérieux c’est qu’à un certain moment de la paisible vie du Douar des Cèdres un vent d’une violente contestation s’était levé un jour. Des jeunes du village se sont élevés contre l’autorité de la Djemâa dirigée d’une main de fer, qui n’était pas d'ailleurs enrobée dans du velours, par le Cheikh du village, un patriarche qui ne se rappelle plus du jour où il prit les commandes de la grande «Djemaâ », véritable poumon du village. Da Kada, notre vieux Cheikh, est issu de la grande Fraction Zianida située à l’extrême limite du Douar. Ne vous amusez surtout pas à essayer de complexer Da Kada en plaçant le curseur de votre culture générale au dessus du sien. Les yeux pétillant de malice et un sourire ensorcelant fabriqué "Taïwan", il vous damera le pion en s’étalant sur les grands noms des penseurs arabes, il sera à l’aise en vous parlant de Pascal et de ses Pensées, où de la dernière interpellation du Père Goriot à l’adresse de Paris, de vous expliquer les conditions qui ont amené Victor Hugo à écrire les Misérables ou Boléro, la partition musicale de Ravel quand ce dernier avait rencontré la Comtesse d’Edimbourg. Il vous parlera de Nedjma de Kateb ou de Yamina Khadra. La Fraction Zianida est une entité qui avait servi de levain d’où sont issus nombre de lettrés. Da Kada fort donc de cet avantage du nombre, du prestigieux passé de sa Fraction et de sa richesse que lui procurent les riches terres « et aux autres moyens pas trop islamiques », de l’intellectualisme de ses congénères, il s’était alors complut dans la chefferie du Douar. L’eau avait coulé sous le pont de Oued El-Ghergua et notre chef de la Djemâa tout occupé par sa micro politique de la petite semaine ne s’est pas aperçu que sa santé devenait défaillante, que la sénilité envahissante s’était déclarée et que les enfants du village avaient grandi, étaient allés à l’école, puis le lycée et enfin l’université et son devenu des cadres dirigeants au dessus de tout soupçon aussi nickel qu’un sou neuf. Et à partir de là ils commencèrent à penser, à s’échanger des réflexions sur le devenir du patelin puis se sont dit que le village jusqu’à présent géré d’une façon archaïque par un futur patient d’un gériatre devenu presque thanatopraxique. Voilà quelques temps que Da Kada s’était fait, malgré lui et sénilité oblige, entouré de conseillés à la mine patibulaire et ne s’est plus levé de la grande pierre taillée qui lui sert de fauteuil à la Djemâa sauf pour aller là où le roi va sans escorte. De leur côté les jeunes diplômés se sont constitués en « Tadjmaâte » de l’opposition et se sont dit que le patelin devrait changer de mode de gestion à l’instar des autres douars voisins et de ceux d’outre mer qui se sont mis à l’heure de la démocratie, de la libre expression, de la vitesse de l’information et à l’alternance du pouvoir parce que les jeunes contestataires sont des gens qui pensent et qui forment une armée de docteurs en histoire, en production pétrolière, en physique nucléaire, une armée d’ingénieurs, de sociologues, de médecins et de politiciens. Le monde est en pleine ébullition et Da Kada reste enfermé dans ses petits souliers, entre la Djemaâ et sa somptueuse demeure. Il était donc temps que Da Kada aille se reposer à Hammam Righa et laisser la place aux jeunes diplômés de la Cité des Cèdres. Que nenni leur répondirent les « mines patibulaires » en véritables Oracles du Temple de la Chefferie du Douar des Cèdres.
« Vous êtes encore jeunes et immatures, nous vous aimons trop pour vous abandonner dans la nature, faites nous confiance et laissez nous agir au mieux de vos propres intérêts parce que les prochaines années verront autant de réalisations qui verront le jour : routes, eau, santé, écoles.
Un dialogue de sourd s’ensuivit alors.
« Vous promettez de faire en une année ce que vous n’avez pu faire durant le long règne de Da Kada. Vous nous avez menti, nous n’avons plus confiance en vous » Soutiennent les jeunes intellectuels du patelin.
« Laissons la parole aux habitants de notre Douar ». Proposèrent les « hommes de Da Kada ».
Qu’à cela ne tienne, ils décidèrent de consulter les habitants des Fractions du Douar pour avoir l’avis général. Mais comme ils sont des spécialistes de la manip et du trucage et autre bourrage …pas de pipe mais des urnes, et donc par un jeu clientéliste et autre népotisme, les thuriféraires de la Place de la Djemâa allaient instrumentaliser toutes les strates de la société, peut être les acheter comme on se paye des mercenaires. Ils firent appel au truculent Hmimed Boulahya, le valet de Da Kada qui se retrouva seul à la Djemâa, boudé par les habitants qui continuèrent à vaquer à leurs occupations. Boulahya cria des Oyé ! Oyé ! sur tous les toits en faisant appel aux bergers, aux moissonneurs, aux ouvriers agricoles, aux ramoneurs et mêmes les âniers et même aux Tangos devenus entre temps amis-amis avec la Djemaâ et ceci dans le seul but de remplir la galerie…Toute honte bue, il eut même le culot d’inviter les jeunes diplômés pour les ramener à de plus « nobles sentiments ». Mais il était contraint de discuter avec lui-même. Les pierres qui servent de chaises disposées tout autour de la Djemâa restent affreusement, lamentablement vides.
FLASCH BACK : Question lancinante : LOBO arrivera t-il à être reçu par Boulahya ? Non, je ne suis pas fou en me posant cette question un peu bébète. Oui et triple oui. Il a été invité parce qu’on a trop tendance à faire feu de tout bois dans tous les secteurs par où transite Boulahya. Dans un douar qui se respect, les responsables n'ont aucune raison de recevoir un imbécile. Mais ici, Boulahya l’a fait sans état d’âme, sans faire la fine bouche ni avoir l’oreille musicale et sans jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, car il ne faut pas oublier que Boulahya est le factotum de Da Kada, il est l’homme de toute les situations périlleuses. Un bulldozer, un char T-90 russe. C’est aussi une chair à canon de Da Kada. Et puis zut, il n’a pas les c…en bronze pour refuser une telle mission pour recevoir LOBO à la Djemaâ. En arrivant presque à la « tadjemaât » en foulant la terre battue avec son lourd godillot, LOBO se voit talonné par Chrif le Cinglé…Non ! Pas Omar Charif, l’acteur, ni Chérif El-Ouazani, le sportif. Mais non … Ce n’est pas aussi Chérif Kortbi, ni Mustapha Chérif, vous pensez !!! Ce sont de grosses cylindrées… Oui, qu’est-ce vous dites là bas au fond ? Chérif quoi ? Ah oui, vous avez peut être raison, Chérif Rahmanikov sera largement reçu à la Djemaâ, même couleur politique que Hmimed. Sur un autre plateau d’une Robervale, ni Boulahya ni sa cause perdue ne doivent peser lourd d’abord en s’intéressant puis en sollicitant les idiots du bled. C’est de la schizophrénie.
Chrif, c’est le fou du village. Ouiiiiii ! Il a été lui aussi invité à la table de Hmimed pour une « ponction d’avis ».
Et ce jour là, LOBO c’est vu talonné par Chrif, celui qui prend sa douche tout habillé dans le bassin de Aïn-Loucif. Loucif ? non… quand même… pas le général et d’abord quelle est l’utilité d’une fontaine pour un général qui pouvait disposer de la nappe phréatique et même de l’albien pour arroser son petit pot de cactus sur la bordure de sa cuisine. LOBO presse le pas car il a horreur de voir passer devant lui Chrif, des fois qu’il lui « tchape » un éventuel paquet d’Afras ou un casse croute promis par Boulahya moyennant leur précieux avis. Il est comme ça LOBO. IL se tourna vers Chrif qui entame un trot et le toise d’un œil torve : « Akhnaaaaaa ! Ouallah en’meylak ». Je ris quand je pense que si notre Douar comptait cent LOBO et cent CHRIF. Mon Dieu, j'ai des frissons quand je pense qu'ils pourront facilement représenter (Si ce n'est déjà fait) les jeunes diplômés du Douar des Cèdres à la Djemaâ Nationale. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me rappelle le film « La planète des singes ». Mes frissons s’accentuent de plus en plus quand je pense que le Douar des Cerises, celui des Oranges et celui des Balambas-Iol vivent la même réalité.
Mes chers amis, il est minuit en ce 26 Juin. On doit laisser tomber Boulahya et tous les tutti quanti. Une chose extra vient de se produire. Des coups de klaxons, de stridents you-you commencent à déchirer le silence de la peur, des cris hystériques, des fumigènes et des feux d’artifices éclairent le ciel de notre quartier longtemps dans le noir de l’inconscience. L’Algérie vient de rosser les Bolchéviks et vont en 8ième de finale de la Coupe du monde, un évènement très important, plus important que l’histoire du Douar et de la fraction Zianida, de Boulahya et de sa « taadjmaâte ». Je renvoie dos à dos le tout. Alors abandonnant mon clavier et, faisant fi des conseils de mon "cardio" et mon "diabéto", je suis sorti ce soir là et je me suis fondu dans une jeunesse qui n'a que le sport pour dire que "nous existons, nous changeront les choses et advienne que pourra".
Commentaires
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- 1. Miliani2Keur Le 07/07/2014
Merci Merci Merci
Trés trés Belle livraison dans le théme et dans une plume trés audacieuse et spontanée, une peinture des personnages qui illuminent les quotidiens de nos cités, de la veine d' "Abdellah El Ostoul" de Slemnia.
pensez a nous plus souvent Mr Yahiaoui en textes pareils
Bonne inspiration Mr Yahiaoui
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