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Le jour se lève

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Le jour se lève 

Un matin délavé se lève difficilement sur une ville qui se dépoussière comme un chien crasseux et insomniaque, au sortir d’une nuit d’errance. Recouvrant mes esprits, j’essaye tant bien que mal de mettre un peu d’ordre dans ma tête et dans mon bureau. Mais, voyant ma feuille, maintenant débarrassée de sa poudre, j’ai pu observer toute sa blancheur occupée d’une frugale esquisse. Et point d’écrit ! M’éternisant dans mes mirages, j’étais parvenu machinalement à crayonner sur cette feuille un arbre vidé de toutes ses feuilles ! Un arbre dont les branches sèches priaient le ciel, seul au milieu d’une surface polie et plate…Je me rendais compte de la force pernicieuse du vent de sable et que celle-ci pouvait atteindre même les cibles les plus abstraites ! Décidément, elle s’infiltrait partout. Ce serait alors lui, ce vent de poussière qui avait ôté les verdures à mon arbre ?  Et les mots à mon récit ? Lui qui nous rend la vie si grise et nos paysages si affectés ? Lui à l’origine de tout ce bouleversement ? Lui qui… ?

Mais en a-t-il été toujours ainsi ? Ah, si les sapins, les cyprès, les platanes, les pins et les vignes de mon village pouvaient renaître ! Ils vous conteraient leurs innombrables triomphes sur l'austérité du sol et de sa caillasse. Derrière ces arbres vieillis qui disparaissent, il y avait toujours pour eux des hommes aux petits soins, à la main verte et au cœur blanc…des hommes qui avaient sué toute leur vie pour imposer un instant, dans la fragilité du printemps, le doux plaisir de l’œil à contempler l’éphémère envol du papillon dans une contrée tourmentée d’hivers envahissants et d’étés harassants !

Où sont donc les neiges d'autrefois, lesquelles neiges nous charmant d’enchantement, ont le don de purifier logis et vallons ? Qui font mouvoir les primes gestations des entrailles de la terre dissimulant une nature bienveillante sous de froides apparences ? Quand le matin au réveil, ces paysages coiffés d’un soudain manteau blanc nickel emplissaient de bonheur nos yeux et encore écoliers, nous allions le cœur en fête, chacun son petit bonhomme de neige en tête, le matérialiser dans la grande cour de l’école ? Ces êtres blancs si purement tendres, au cœur éphémère, prêts à fondre en larmes aux premiers miroitements de l’aube printanière nous manquent tellement ! Que sont donc devenus l’hiver et sa froidure franche mais féconde ? Ces ruissellements que la sévérité glaciale du thermomètre pétrifie, surpris comme sous l’effet d’un arrêt sur image dans leurs trajectoires inachevées descendant des toits des maisons, capturés en stalactites aux frasques du temps dans l’espoir qu’un meilleur avril puisse leur consentir le couronnement en fleurs d’une renaissance ? Nos randonnées expéditives marquées de nos pas dans la neige cotonneuse, à la recherche de quelque malheureux passereau figé au piège du froid ? Et cette saison, du solstice de décembre à l'équinoxe de mars ?…Revivra-t-on cela un jour ?

Reverra-t-on alors les rassemblements imposants de ce régiment d’oiseaux, en file indienne, alignés sur les fils des poteaux électriques, prêts pour la grande migration vers des zones plus clémentes ? Cette messagère du printemps, l’hirondelle des cheminées, des fenêtres et des balcons, prédisant l’alternance pacifique des saisons n’enchante plus notre quotidien. Elle qui, seule, faisait le printemps ! (N’en déplaise à un certain dicton !) Et la cigogne aux longues pattes, au bec rouge, long et droit, qui claquette, toute blanche sur un ciel redevenu bleu, surplombant de ses ailes ébènes les tuiles vermeilles des paisibles maisons, regagnant au pic du minaret son nid de toujours !

Ces deux éclaireuses nous retourneront-elles ?

Nous serait-il donc possible - hélas au moins une fois - de surprendre au vol les gangas au noir plumage à la recherche de points d’eau, l’horizon se rembrunissant à leur passage ? Ou de croiser ce chasseur d’autrefois, l’œil à l'affût, le seize millimètres Robust aux mains, tirant au poser et à l’envol, puis la gibecière en bandoulière accueillant, une fois les plumes sommairement nettoyées, les pièces de ce tableau de chasse ?               

S’envoleraient alors, en s’évadant de nos souvenirs si longtemps incarcérés, une population de volatiles aux mœurs éparses en direction de la nature qui se languit de son petit peuple de bêtes bien-aimées. Tout renaîtrait : les cris de la bartavelle au duvet rouge cendré, l’outarde au corps massif et aux pattes lourdes, très appréciée pour sa chair, la bécassine au bec incurvé, le canard sauvage aux ailes longues et pointues, au repos, flottant dans les mares, la caille qui cacabe hantant les prairies et les champs et dont la prise s’effectue à la tirasse, le roucoulement de la tourterelle au rostre écarlate côtoyant les planchers d’écuries, disputant aux chevaux et aux ânes leur ration de grains et d’avoine, les sauts répétés du craintif lièvre au regard tourmenté ralliant le terrier au moindre zéphyr, la gerboise, ce « kangourou en miniature des hauts plateaux » qui creuse des tunnels, aux pattes postérieures très longues lui favorisant la posture debout et la progression par bonds rapides quand le salut est dans la fuite

Et Dieu du ciel ! Dites-le moi, serait-il encore possible de parcourir le printemps vert émeraude des champs ? De délecter sous la chaleur de l’été azur la fraîcheur d’un étang ? De savourer aussi au travers de pistes jonchées de feuilles colorées d’automne les joies et les senteurs d’une escapade champêtre ? De contempler enfin l’hiver enneigé au regard blanc et immaculé ?

Drôle de pays où les saisons se désaxent, perdent le nord et s’entremêlent face à ce désert intrépide qui s’avance à grandes foulées, soulevant à son passage une armada de poussière où désormais une plante pour pousser et une bête se maintenir doivent faire de la résistance. Je ne puis rester insensible aux effrois des lendemains arides que nos paysages auront à endurer si rien ne se fait dès aujourd’hui pour barrer la route à cette horde de sable pillard décimant par son avancée faucheuse toute tentative d’opposition à la mort, à la finitude !

Dehors le long calvaire se continue dans une ville encore ténébreuse et endormie, mordant de la poussière, entièrement aux mains d’un envahisseur lointain venu en conquérant annexer de nouvelles parcelles dans chacune de ses progressions. Le sable se lassant de son lit naturel, a décidé de découcher, s’implantant confortablement sur nos hauts plateaux pour mieux cracher sur nos paysages et nos visages la toute puissance de sa poussière…

Quand le chemin du présent qui conduit à l’avenir est obstrué, il m’arrive souvent de trouver en ce salutaire rétroviseur, une espèce d’apaisement inouï !

Une odeur divine de terre à peine mouillée envahit la maison. J’écoute enfin le doux bruit de la pluie qui tombe sur la ville. Je l’entends crépiter au sol et de la pièce où je suis, j’ouvre la fenêtre et regarde ces gouttes d’eau chuter d’un ciel basané que la timide clarté du demi-jour tente d’éclaircir. Cet instant est beau, magique, irremplaçable ! J’ai toujours aimé la pluie d’une passion profonde. Muse inspiratrice, elle donne libre cours à mes captives pensées et me réconcilie avec moi-même !

Je voudrais que mes mots deviennent pluie ! Pluie salvatrice, libératrice, généreuse ! Giboulée qui fait germer le bien nourricier lui faisant découvrir la lumière, le soleil, l’espoir : Vous êtes cette pluie, mes mots !

 

Par Said BELFEDHAL

Commentaires

  • ferhaoui
    • 1. ferhaoui Le 05/08/2020
    bonjour tout le monde ou que vous soyez. mon cher ami , merci pour ce beau texte: une très belle aquarelle toute fraiche posée sur une toile blanche ou les mots et les couleurs disent plus que l"image....
  • Belfedhal Abderrahmane
    • 2. Belfedhal Abderrahmane Le 31/07/2020
    Bonjour à toutes et à tous
    la bienvenue a ce jour qui se lève en compagnie d une complainte qui avait pris le pli de sillonner les sentiers battus sous le charme des saisons en vadrouille.
    Mon cher SAID si les mots se traduisent par une pluie salutaire c est aussi vrai pour la pluie qui se déchaine pour libérer tous les sens reunis sous la touche magique de l artiste peintre et les vers du poète en quête d'inspiration dans ce contexte j ai cet immense plaisir de retracer la complainte d une âme irakienne qui séparée de son sud natal s est vouée a la grâce de la pluie.
    Aid karim et une pieuse pensée envers tous ceux qui nous ont quitte ces derniers temps car certain que plusieurs foyers pleurent a chaudes larmes pour ceux qui sont partis.
    Une vieille chanson de Sabah disait :
    Nous sommes revenus à la maison demander après nos chers.
    Nous avons trouvé cette dernière pleurant celui qui est absent.

    BONNE ÉCOUTE

    https://soundcloud.com/erick-auguste/le-chant-de-la-pluie-badr
  • Miliani2Keur
    • 3. Miliani2Keur Le 31/07/2020
    L'éveil de l'humus et l'écoute de la pluie féconde éveillér la terre dans une nostalgie maline en trompe l'oeil, la plume très efficace et attentive à la fioriture de Belfedhal, coule très naturellement ... oui les mots aussi régénérent et détrempent la Mémoire ...
    Texte sobre et efficace Si said, merci

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