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Le souffle de la vie /Le Livre des Jours de Taha Hussein

Ce texte a, entre autres, la particularité de démontrer le mérite à accorder à Mohamed Abdou dans le cheminement de la carrière littéraire et professionnelle de Taha Hussein.

En février 1947, André Gide préfaçait « Le livre des jours », de l’écrivain Taha Hussein, dans sa version traduite en langue française. Ce fut un évènement majeur pour la littérature arabe. Les traducteurs de l

ouvrage, Jean Lecerf et Gaston Wiet, auront, donc, su porter, plus tard, imparablement et admirablement, son excellent produit et succulent art bien au-delà de la vallée du grand Nil.

Ils en feront connaître plus loin la plume exceptionnelle d’un auteur assez singulier ou très particulier, sur tous les continents de la planète. Cependant, l’handicap visuel de cette plume de renom ne pouvait, donc, l’indisposer à transcrire toutes ces grandes merveilles littéraires venues des ténèbres de l’enfer de son exil intérieur. Dans ce titre autobiographique, l’auteur parle de sa vie, de son enfance, de sa jeunesse, de ses études, de ses sentiments, des premiers moments de l’éclosion de son talent et de son exclusion par tout un environnement qui lui était resté hostile ou incompréhensible. Il y décrit avec force détails son mal, expliquant au passage ces menus paramètres qui lui rendaient sa vie – amputée de sa vue – vraiment très difficile.

Comme l’indique son titre, dans cet ouvrage, l’auteur parle des jours, de ses propres jours (El Ayam). Il ne s’agit pas d’un livre-repère ou d’un cahier-journal. Il est plutôt question de toute une vie d’un illustre écrivain qui décrit – paradoxalement – ce qu’il ne voyait pas malheureusement. Contre son mal incurable, il n’avait que les mots comme moyen de lutte, unique remède et aucun autre intermède. Ses pulsions étaient sur le champ transformées en mots durs, drus, purs, solidement tissés et habilement tressés dans un texte qui faisait frémir les meilleures plumes du monde. En particulier, celles aidées par cette acuité visuelle dont l’auteur du « Livre du jour » en manquait au point de lui en substituer sa seule muse fusant de tout bois. Devenu aveugle dès l’âge de trois ans, Taha Hussein est natif d’un pauvre et misérable village de la moyenne-Egypte, en 1889. Il deviendra, plus tard, sans nul doute, le meilleur écrivain arabe de l’époque. Diplômé de la Sorbonne, en 1919, où il y soutiendra sa thèse, entièrement réservée à l’œuvre de mérite et à la vie de Ibn Khaldoun, il aura auparavant, en simple élève sous la férule du célèbre Mohamed Abdou, connu à la grande université classique arabe (religieuse) d’El Azhar, au Caire, puis, comme simple étape de transit encore, la toute récente université moderne de la même ville. Plus tard, de grands noms de la littérature occidentale, auteurs de prestigieuses œuvres et grands titres de mérite, se faisaient un honneur, lors de leurs visites au pays du Nil, de rencontrer, enfin, Taha Hussein, l’écrivain.

Et pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se référer à la magnifique préface d’André Gide (prix Nobel en 1947), en plus de ses nombreux écrits sur l’œuvre de cette grande plume arabe, bien connue à travers les travées de notre planète. Aveugle mais, surtout, un brin polyglotte, Taha Hussein suscitait déjà ce grand complexe de l’inévitable paradoxe de la vie; tant l’auteur du « Livre des jours » était bel et bien à jour dans ses écrits et autres réflexions sur la littérature et les sciences sociales, de manière plus générale. Ne voyant plus rien de ses yeux, il consultait souvent le cœur et ce sixième sens qui l’aidèrent à mieux comprendre le quotidien de la vie, bien mieux d’ailleurs que ne pouvaient le faire pratiquement tous les prestigieux auteurs de la planète, ne connaissant pourtant ni handicap de la vue ni d’autre mal durable, incurable ou endémique. Dans le « Livre des jours », il faisait part de son autobiographie, poussé ou pressé par le seul souffle de la vie. Les yeux bridés, il n’avait pourtant nullement la vue ou l’esprit guindé par un quelconque empêchement de nature pour faire le récit de sa propre vie. Dans toute l’étendue de son austérité, de son antériorité, de sa complexité, tenant compte de la nature des éléments d’analyse qui ne reposent nullement sur l’élément palpable, mais plutôt sur le seul sentiment que véhicule une mémoire restée encore bien intacte.

Le plus curieux ou très fantastique à connaître encore dans la vie de Taha Hussein est que son auteur préféré n’était autre qu’un autre aveugle de la belle littérature, cette grande plume qu’était Aboul Alaa Al Maari (973-1057), très célèbre poète, plus connu pour sa virtuosité, l’originalité et le pessimisme de sa vision du monde, auteur de ces fameux vers : La vérité est soleil recouvert de ténèbres Elle n’a pas

d’aube dans les yeux des humains. Promu ministre de l’Education nationale, les Egyptiens lui doivent « cette éducation gratuite pour tous » et ces nombreuses écoles créées un peu partout sur le territoire de ce grand pays du Nil. Premier recteur de l’université d’Alexandrie qu’il avait créée en 1942, après avoir été le premier doyen de la faculté des lettres du Caire (1930), il fut aussi professeur de l’Antiquité, depuis 1919, soit dès son retour de France et jusqu’en 1925, où il aura à moderniser l’enseignement supérieur et à animer et dynamiser la vie culturelle du pays.

Ce doyen de la littérature arabe reste l’un des plus importants penseurs du XXe siècle, en sa qualité d’essayiste, romancier et critique littéraire hors-pair. Partout à travers le monde, il était, donc, considéré comme « le rénovateur de la littérature arabe ». Son « Livre des jours», édité en trois tomes (tous rédigés entre 1926 et 1955), en exprime d’ailleurs cette nouvelle structure narrative. Ce choix du récit autobiographique à prétention littéraire était alors quelque chose de vraiment neuf (nouveau) dans la littérature arabe. Ainsi, le premier tome « d’Al Ayam » (les jours) portait-il sur la mise en valeur de cette « quête individuelle d’une mémoire retraçant le cheminement d’un souvenir vers la raison ». Mais aussi, d’un autre côté, d’une « raison appelant la mémoire afin de se justifier aux yeux du monde ». L’itinéraire était, donc, bien tracé. Il consistait en cette succession de jalons proposés à la société afin de renaître d’elle-même. Elle constituait cette nécessaire passerelle pour « aller d’un âge imaginaire mythique, figé dans sa propre mémoire, à la maturité d’un regard scientifique et rationnel sur le monde ». Le « Livre des jours » traduit, donc, indéniablement le difficile souffle de la vie de son auteur, ses grandes peines et ses terribles douleurs, ses silencieuses frustrations comme ses insupportables exclusions; et parmi celles-ci, figure, bien entendu, sa privation de la vue, phénomène qu’il put cependant surmonter grâce à cette plume alerte et très diserte qui aura eu la très lourde charge de faire toute la lumière sur tout son itinéraire littéraire, depuis son enfance jusqu’à cette étape où il acquiert ou atteint le sommet de son art.

Muhammad abduh

 

Sa proximité avec le très célèbre Mohamed Abdou ne lui a pas procuré uniquement que des amis. Bien au contraire, elle aura plutôt provoqué des remous dans le clan qui lui était opposé idéologiquement, au point où Taha Hussein sera entraîné dans un affrontement larvé avec la toute autre célèbre université religieuse d’Al Azhar, pour être aussi traité de mécréant vendu à l’Occident. En plus de ces nombreux reproches faits à l’homme de lettres de renom par les islamistes d’Al Azhar, son « Livre des jours » connaîtra la censure de certains de ses passages (quatre gros chapitres lui ont été charcutés) par les responsables du ministère de l’Education nationale, pour être par la suite carrément retiré (intégralement interdit) des programmes scolaires des écoles du palier secondaire en Egypte. Ce fut une deuxième mort pour l’auteur de cet ouvrage. Mais les jours suivant sa première mort furent encore plus douloureux pour la littérature arabe et universelle. Après sa disparition, ce sont des pans entiers de ce grand art scriptural qui disparaissent, à leur tour ! Avec leur inamovible auteur ! Dans sa vie, Taha Hussein aura connu, à la fois, le meilleur et le pire. Plutôt plus le pire… !

 

Par Slemnia Bendaoud

Commentaires

  • BELFEDHAL Abderrahmane
    • 1. BELFEDHAL Abderrahmane Le 13/11/2023
    Le livre des jours- El ayam- est aussi, à travers un récit au fond mélancolique, une extraordinaire leçon d’énergie, l’exemple d’une réussite, d’un triomphe de la volonté, d’une patiente victoire de la lumière spirituelle sur les ténèbres, par quoi ce livre exotique et inhabituel est si noble et réconfortant……….ANDRE GIDE.
    A toutes et à tous Essalem.
    Taha Hussein (1888- 1973) a livré au public en 1926 un ouvrage qui a provoqué un tollé voire une tempête jusque sur les bancs de l’assemblée nationale. Cette tempête a pour origine le livre de taha Hussein intitulé « sur la poésie antéislamique ». Monsieur Selemnia a évoqué dans son texte une campagne farouche contre l’auteur du livre des jours orchestrée par les oulémas de l’illustre El Azhar mais sans percer le fond de cette attaque contre taha Hussein. La ligne de conduite du penseur et écrivain taha Hussein, surtout, après son retour en Egypte avec, pour distinction l’obtention du doctorat d’état délivré par la Sorbonne. Cette ligne de conduite repose sur le principe et la nécessité de soumettre l’héritage classique arabe au crédo scientifique moderne à savoir : Observation et expérimentation sur doute cartésien. Partant de cette conviction taha hussein va jusqu’ à mettre en doute la poésie antéislamique. Cette prise de position lui a valu l’ouverture d’une instruction judiciaire qui s’est soldée par un acquittement. Cependant et de l’avis de plusieurs penseurs Taha hussein est considéré comme un grand novateur de l’exégèse du coran en y découvrant une source première dans la connaissance de la société arabe d’avant l’islam. Pour Taha Hussein, cette société se révèle être une grande civilisation égale à ses contemporains Byzantins et Perse. Le plus surprenant encore est que Taha hussein nous fait comprendre que la civilisation dite jahyylienne est bien supérieure a la reforme religieuse proposée par le nouveau prophète mecquois ??? Taha Hussein dans son esprit « cartésien » est allé j jusqu’ à mettre en doute l’authenticité de la construction de la Kaaba par le prophète Ibrahim que la bénédiction de dieu soit sur lui, expliquant qu’il s’agit la d une tentative de légitimation d’une histoire biblique arabe. Le chercheur en religion Mohamed Ennaboulsi s’appuyant sur les travaux de Taha Hussein a écrit : Apres une étude approfondie faite par Taha Hussein, ce dernier en a déduit que la poésie antéislamique dite païenne est un mensonge et un mythe fabriqué par les Abbassides en Irak après la mort du prophète que le salut et la bénédiction de dieu soit sur lui. Taha Hussein dit : Apres une longue étude, j’en ai conclu que cette poésie n’est absolument pas daté d’avant l’islam. Ce sont des textes rédigés après l’islam. Il s’agit de textes qui expriment plus des tendances islamiques que la réalité de la vie des populations antéislamiques. Tous les textes d’avant l’islam ne reflètent absolument pas les mœurs des populations de leur temps. L’esprit cartésien bâti sur l’observation et l’expérimentation est allé trop loin en soutenant que la langue arabe n’existait pas avant l’islam. Monsieur Selemnia, je vous remercie pour avoir cerné une grande partie de la place de ce penseur éminent dans le rang de ceux qui ont apporté un plus dans l’enrichissement de la culture universelle et si j’ai évoqué les raisons de l’attaque des oulémas d’el Azhar contre Taha Hussein et autres réformistes c’était surtout pour ce qui a été évoqué ci-dessus. Chère amie noria merci pour cette rediffusion de sujets vifs et brulants qui restent pour toujours des essais d’actualité car ils constituent la substance vitale dans la grande sphère de l’esprit universel. A bientôt.
  • Chantal
    Bonjour Slemnia Bendaoud,

    Un grand merci pour votre texte qui m’a passionnée. Je ne connaissais pas ce grand auteur de la littérature arabe qu’a été Taha Hussein. TOUT dans la vie de cet homme a été remarquable et exemplaire tant par son intelligence, son savoir, sa culture, sa force de vie, sa pugnacité. J’ai néanmoins été révoltée autant que bouleversée par ce qu’a été la fin de la vie de ce grand écrivain et penseur et du rejet dont il a fait l’objet. Quelle injustice !

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