Ali Bitchin, le «Lion des mers»
Un Corsaire d'origine vénitienne, puccieni, par la foi en Dieu et pour l'amour d'une belle princesse, construisit une mosquée à Zoudj-Aïoun.
En ce mois de mai 1578, une galère pavoisée parmi des navires corsaires jetait l'ancre dans la darse d'Alger. Saluée par des salves d'artillerie, elle traînait à sa remorque un navire vénitien, lourdement chargé de captifs et de riches.
Une foule dense était là, manifestant sa joie. Parmi elle, se tenait le roi d'Alger Hassan Veneziano. Le célèbre Cervantès, auteur de Don Quichotte capturé à Alger, à cette époque, nous le décrit : « Grand, maigre, pâle, la barbe rare, les yeux brillants et sanglants, l'air hautain et cruel ; avec cela, une bravoure à toute épreuve et une énergie impitoyable ».
À ses cotés se trouvaient ses plus fidèles lieutenants, le raïs Chiobali, le raïs Kellouche, qui fut pacha d'Alexandrie avant de venir habiter Alger, le raïs Fettah-Allah Ben-Khodja et, enfin, le raïs Yahia, celui là même qui édifia, en 1575, le palais abritant, aujourd'hui, le Musée des arts et traditions populaires. Les captifs débarqués furent tous dirigés vers Bab El-Boustan (marché des esclaves) qui s'étendait en ce lieu (actuelle petite place de la pêcherie) sous une forme rectangulaire et avec un encadrement d'arcades.
Parmi eux se trouvait un jeune Vénitien, vif et espiègle à peine âgé d'une dizaine d'années, appelé Puccini. La bonne « bouille » et l'air intelligent de l'enfant plurent au raïs qui l'acquit pour 60 pièces d'or.
Puccini fut aussitôt soumis à la circoncision prescrite aux musulmans et à la conversion à l'Islam. Fatah-Allah lui donna le prénom de Ali et de Puccini en lit Bitchin.
Sous l'autorité, l’œil bienveillant et l'éducation du raïs Ben-Khodja, le jeune Ali Bitchin devint rapidement un redoutable corsaire ; le raïs commença par lui confier le commandement d'une galère de 24 bancs de rameurs. Il fut élu, quelques temps plus tard, raïs de la taîffa (chef de la corporation des capitaines corsaires), puis nommé amiral des galères. Dans l'actuelle rue de Bab El-Oued s'élevait son palais.
Ali Bitchin devint plus riche et plus puissant que le roi d'Alger. Ses nombreux esclaves étaient enfermés dans des salles souterraines.
À l'exception du raïs Hamidou qui, lui, vécut vers la fin du XVIIIe siècle, aucun corsaire ne fut autant aimé que Ali Bitchin. Sous son commandement, la marine d'Alger assura sa suprématie en Méditerranée, franchissant allègrement le détroit de Gibraltar et poussant loin vers le cercle polaire. Ses corsaires pénétrèrent l'océan Atlantique qu'ils remontèrent jusqu'en Irlande.
Ils parviennent à Madère, toujours intrépides, on les voit s'attaquer, seuls sur leurs bateaux légers, aux plus lourds vaisseaux quel que soit le nombre des ennemis, résister aux tempêtes les plus violentes, apparaître à l'improviste, narguer l'ennemi de leur folle audace.
Ali Bitchin devint en quelque sorte le père nourricier d'Alger par les innombrables richesses qu'il confisquait et rapportait à bord de ses navires. Il contribua ainsi à l'apparente oppulence de la capitale.
La construction d'une mosquée
La tradition raconte que lorsque Ali Bitchin aperçut pour la première fois la princesse Lalla Lallahoum, la fille de Ben Ali, sultan des Kabyles de Koukou, femme belle entre toutes, il ne put résister au désir de l'aimer. Tous ses sens furent troublés, ses jours sont sans repos. Accompagné de Lalla N'fiça, veuve du raïs Fettah-Allah Ben-Khodja et d'une nombreuse suite, il se rendit auprès de Ben-Ali sollicitant la main de sa fille.
L'intrépidité du corsaire dans ses prises toujours heureuses lui avait permis de réunir les plus riches produits des quatre coins du monde. Il déposa ainsi au pied de la belle princesse les plus riches tapis de la Perse, les soies et les brocards du pays du Levant, les diamants des Indes, l'or du Pérou ... Lalla Lallahoum considérait avec indifférence ces richesses : « Non, dit-elle, je n'ai que faire de tout cela, j'exige que mon prétendant construise une mosquée pour me prouver sa foi ».
Mosquée Ali Bitchin
Celle-ci fut érigée immédiatement (4 mars 1622). Cette vieille et remarquable mosquée subsiste encore de nos jours à Zoudj-Aïoun.
L'édifice est composé d'une nef carrée à coupole octogonale qu'entourent, sur trois côtés, des galeries recouvertes d'une vingtaine de petits dômes à la manière de Sainte-Sophie d'Istanbul ; le mihrab qui se voit én saillie dans la rue de Bab El-Oued ne présente aucun ornement. La mosquée était également pourvue, à l'époque, d'une fontaine appelée « Aïn ech chara », plusieurs boutiques voisines lui furent attribuées en bien habous en vue d'assurer une rente permanente servant à son entretien.
La mort du « Lion des mers »
Ali Bitchin souhaitait depuis toujours libérer l'Algérie de la tutelle ottomane s'exerçant à travers la régence d'Alger. Surtout après la trahison du sultan d'Istanbul.
« Vers 1639, la marine algérienne, sous le commandement de Ali Bitchin, subit d'importants dégâts aux côtés de la flotte ottomane contre les Vénitiens à Avlona dans la mer Adriatique. Le Sultan promit aux raïs d'Alger de les indemniser en conséquence, mais n'envoya jamais les subventions promises pour la reconstitution de la flotte algérienne ».
Soulevant la légitime colère de nos raïs, ceux-ci prirent, désormais, la décision de ne plus prêter main forte à la marine turque. Durant l'année 1645, le sultan Ibrahim convoque tous les navires de guerre algériens pour combattre les chevaliers de Malte et les Vénitiens. Leur fixant rendez-vous à Nasarin, bien entendu, Ali Bitchin et ses corsaires refusèrent de s'y rendre.
Cette « désobéissance » fut interprétée par le sultan comme un acte de haute trahison. Ne pouvant venir à bout du « lion des mers », il donna secrètement l'ordre à ses sbires de l'empoisonner. Selon l'opinion publique, ce fut sa servante, payée à prix d'or, qui se chargea de lui verser le terrible poison dans son café. C'est ainsi que mourut le « Lion des mers » lâchement assassiné.
Des funérailles grandioses
Un religieux chrétien, l'abbé Orse, présent à Alger, écrivit : « Son corps revêtu de riches habits, fut exposé publiquement et gardé par plusieurs compagnies de la milice des janissaires qui se relevaient. Deux bannières déployées rappelaient les victoires qu'il avait remportées sur les chrétiens » ... Plus loin, le témoin ajoute : « Le cercueil fut enveloppé dans un tapis vert et l'on déposa dessus les armes dont il s'était servi pendant sa vie. Les marabouts le portèrent à son tombeau.
On le plaça, la face tournée vers la Mecque et les bannières rappelant ses exploits, portées par les chefs du diwar et de la marine, furent placées sur sa tombe. On continua pendant vingt jours à servir sa table à la grande satisfaction de quelques esclaves qui venaient chaque jour se régaler en son honneur ».
Djebanet el bachaouet (le cimetière des pachas)
Le Lion des mers fut inhumé à Djebanet el-bachaouet (le cimetière des pachas). Cette ancienne nécropole était située à la porte de Bab El-Oued. Dans ce cimetière étaient enterrées plusieurs personnalités de notre histoire. Là se trouvait le tombeau de Hassan Agha, illustre vainqueur de Charles Quint et de son armada aux portes d'Alger en 1541.
En ce lieu, se trouvait également une kouba décorée de faïences de Perse et d'Italie, sépulture du Beylerbey Salah raïs, compagnon des frères Barberousse, grand timonier du sultan Soleiman El-Kanouni dit le « Magnifique » (le conquérant de la Hongrie, de Belgrade et de Rhodes) et roi d'Alger de 1552 à 1556 il expulsa les Espagnols de Béjaïa (juin 1555) et mourut d'une terrible maladie à Tamentfoust alors qu'il s'apprêtait à une expédition contre les Espagnols occupant Oran.
Pour ne pas les énumérer tous, signalons les tombes de quelques autres roi d'Alger : Hassan Corso mort en 1557, Hassan Cheikh décédé en 1640, Daly Brahim en 1710, Ibrahim Koutschouk en 1748, Baba Ali Bou-Sbaâ en 1766 et tant d'autres.
Des attributs particuliers distinguaient chaque sépulture tandis que, en effet, les tombeaux des rois, tous décorés d'une coupole, présentaient un turban de marbre, celle des raïs d'un bâton d'enseigne et d'une pomme de mât de pavillon.
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