Ali Hadji, une vie facile, une mort tranquille !/ Par Slemnia Bendaoud
Dans mon humble et très confus esprit, la fonction de surveillant allait vraiment de paire avec le grand gabarit de celui qui l’occupait. Mais à voir, un jour, un tout nouveau maitre d’internat, ne payant pourtant pas de mine, venir nous conduire crécher au sein de cet atelier d’une mini-usine à l’arrêt de l’ex CNET de la ville de Miliana, je me disais que les maigrichons lycéens pouvaient tout de même avoir de la chance avec ce très chétif et rétif jeune homme et petit Monsieur.
Et tout le monde se disait, probablement en son for intérieur : ‘’Avec celui-là, on aura, au moins, la paix souhaitée !’’. Plus question donc de ces gifles terribles et bien sordides qui sonnaient ou tonnaient l’écho d’un véritable éclat d’un coup de fouet qui se répand alentour, pour se perdre en petits bris à l’horizon ! Fini donc aussi ces autres claques méchantes qui faisaient naguère vibrer pour un bon moment ces vitres des grandes fenêtres de l’établissement !
Petit de taille, il nous semblait être un tout nouvel élève, juste à l’instant admis par notre lycée à la zone de recrutement jadis des plus étendues, souvent tentaculaire, comparé à ses pairs et bien semblables des autres régions d’Algérie, n’était-ce sa silhouette très honnête, avenante, bien connue de tous, qui le trahissait, là où il passait.
De la même taille et autre petit gabarit que feu Riou Mahfoudh ou celui de ce fameux Mister Sing Sing*, plus tard, embauché dans les mêmes fonctions, il passait bien souvent pour un élève faussement rebelle, puisque toujours marchant en léger décalage par rapport à cette file compacte divisée en double rangée qui arpentait, grelottant de froid, les mains transies et le nez rougeoyant, la nuit venue, ce grand rocher de Korkah derrière lequel se cachait, tapi dans son caillouteux manteau de territoire, ce dortoir alors à la va-vite improvisé, en vue de parer au plus pressé.
On prenait à l’époque nos quartiers pour se déshabiller ou s’habiller au sein de l’espace intercalaire, laissé entre la multitude des machines formant l’arsenal de tout cet équipement de coupe et de la transformation du bois, dont on avait tout juste débranché les gros câbles de son alimentation en courant électrique.
Ainsi, juste une année plus tard, c’est donc en aguerris ébénistes et autres chevronnés ou débrouillards menuisiers qu’on s’agglutinait, la nuit venue, au sein de cette église-dortoir pour prier de tout cœur, parfois en silencieux pleurs, en messe nocturne continue et jusqu’à l’aube naissante, de décrocher ce fameux sésame qui nous mettrait définitivement à l’abri de ces durs métiers de la vie.
En futur médecin, très conscient de sa magique potion et bien utile intervention, il veillait toujours à ces petits soins, en s’assurant que tout le monde faisait ses devoirs pendant la séance consacrée à l’étude, et que, le soir venu ou revenu, personne n’avait déserté sa place au dortoir pour aller faire le mur, en s’aventurant à plutôt se balader en ville.
Originaire de ce perdu bourg de Taza, niché tout à fait en haut du mont d’El Meddad, juché comme un aigle sur son col de méditation de toujours, né dans le prolongement naturel, côté est de l’Ouarsenis, Ali Hadji était ce gars de la haute montagne qui devait retrouver tous ses repères et autres marques dès lors qu’il s’était installé durablement sur ce flanc sud dans le giron du Zaccar.
A l’inverse de Theniet El Had dont dépendait administrativement sa bourgade, embrigadée dans ses vieux haillons et vieilles masures, faites en pierres taillées et terre battue, longtemps ballottée entre les anciennes wilayas de Tiaret et El Asnam jusqu’à sa fixation définitive sur le territoire de Tissemsilt, Miliana représentait pour son hôte cette ville où se côtoyaient histoire et modernité, où se confondaient plaisir et beauté, où se conjuguaient encore le présent de ses études avec l’avenir de sa profession, où se décidaient, à la fois, bien finalement son devenir et ses réelles ambitions.
Tel un oiseau migrateur contraint à observer un long repos avant de reprendre son vol pour d’autres cieux et meilleurs univers, il s’y est donc rapidement adapté : à son dur climat hivernal, à ses coteries et hauteurs de vue, à ses habitudes qui contrastaient avec les coutumes de la campagne, à son mode de vie qui flirtait avec la modernité propre à la grande ville, léguant ou narguant la campagne à ses ruraux, à ses humeurs matinales où la brume était constamment au rendez-vous, tantôt s’effaçant pour laisser la place à un soleil radieux, tantôt amenant ces précipitations bienfaitrices ou parfois destructrices d’un couvert végétal très fécond et presque permanent, tantôt nous faisant sombrer dans ce gris permanent qui n’annonce, en fait, ni la pluie ni même le beau temps.
Il fut l’un des rares surveillants à consacrer tout le temps imparti à cette séance d’étude d’avant et même celle d’après le diner, à refaire encore ses devoirs et à apprendre ses leçons du lendemain, à la manière d’un assidu élève, très pointu dans ses habitudes scolaires.
Celui-ci n’était pas du genre à jouer à ce cliché de ce commis de l’état très zélé de son état qui faisait cette moue hypocrite, ou à ce vicieux Monsieur qui fronçait ses sourcils pour lever ses cils en signe de désaccord ou de méchanceté exagérée envers les élèves, ne nous demandant, par conséquent, ni à ‘’entendre le silence mystérieux’’ ni même à surtout ‘’sentir, au loin, venir le hurlement du vent en fréquente ballade dans la région’’.
Avec lui, au moins, on se permettait de parler à deux, à très basse voix aussi, en intimité, comme si, par paire ou duo, tout le monde faisait cette prière plutôt secrète du soir, sans vraiment avoir à déranger ses camarades, installés à l’avant ou ceux placés derrière, le tout communiquant à la lisière de ce silence conventionnel qu’il fallait à tout prix obligatoirement bien observer.
Ali Hadji n’avait jamais ce complexe d’aller s’installer à côté d’un élève en manque d’intelligence ou de concentration dans ses études, et de faire en commun avec lui un quelconque exercice ou de traiter d’une problématique donnée dont souffrait cet élève de la classe de terminale de sa propre filière et spécialité.
Très doué dans les matières techniques et scientifiques, il passait le reste de son temps libre longtemps accroché aux basques de ces littéraires de formation, afin de glaner de cette proximité recherchée le maximum de connaissances en rapport avec cette misérable filière des facteurs en perte d’adresses correctes et fécondes de leurs malheureux destinataires, et ces autres futurs poètes de cour d’une toute mesquine ou très médiocre littérature.
Doté de ce sens aigu de l’observation, il savait longtemps se retenir, rapidement se ressaisir, très conscient de la pertinence de l’abstinence à en user sans ruser, toujours guidé par ce souci permanent de ne jamais traiter d’un sujet qui le dépassait, sinon tout juste afin de ne pas avoir à dire de vraies sottises ou à produire d’inutiles bêtises.
De constitution physique plutôt frêle, il n’était jamais tenté par ces folies des grandeurs de vouloir à tort ou à raison se mesurer à plus costaud que lui, ni même habité par ce sentiment farfelu de voler la vedette à ces grandes star du show médiatique.
Ali avait plutôt les pieds sur terre, très conscient que son décollage n’était pas pour demain. Il laissait faire, persuadé que l’attente sera trop longue avant de risquer le moindre mouvement. Un hypothétique changement dans le cours de sa vie quotidienne !
Sage et fort intelligent, il fut plutôt très discret, par simple modestie et très grande humilité. Le sachant vraiment malade, on l’avait appelé au téléphone, Abdelkader Guessab et moi-même, dans la perspective d’aller lui rendre visite sur site, chez lui à Taza ; cependant, un contretemps est venu compromettre ce déplacement, finalement avorté à mi-chemin ; c’est-à-dire à Khemis-Miliana.
Depuis lors, faisant ces va-et-vient incessants entre sa demeure de toujours et l’hôpital militaire de Ain-Naâdja, où on lui prodiguait régulièrement des soins, grâce à l’intervention de l’un de ses anciens camarades de lycée, il devait, au bout de son calvaire éreintant et grande galère, connaitre cette mort terrible, il y a juste quelques petits mois, nous plongeant dans ce grand désarroi.
Issu d’une famille pauvre, il fut, sa vie durant, très proche des gens nécessiteux, généreux dans l’effort et très disponible dans les moments difficiles, soucieux de préserver la vie de ses patients.
Parti un peu trop tôt, notre toubib laisse derrière lui l’image d’un homme très correct, simple, humble, modeste et courtois, dont justement –cerise sur le gâteau, son noble métier était de sauver des vies humaines, bien souvent en réel danger de mort.
Consterné par la disparition subite de cet être tranquille et très simple dans sa vie, je prie le Tout Puissant de l’accueillir au sein de son vaste Paradis.
A Dieu nous appartenons, et à lui nous retournons ! Nul n’est éternel, sauf Dieu !
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(*) Nous y reviendrons beaucoup plus en détail sur le portrait de cet autre maitre d’internat.
Commentaires
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- 1. ZOUMA Le 02/12/2014
EN CES MOMENTS PARTICULIÈREMENT AFFLIGEANTS JE M'ASSOCIE DE TOUT CŒUR AU DEUIL CRUEL QUI VIENT DE FRAPPER LA FAMILLE HADJI DE TAZA ET PARTAGE L'IMMENSE DOULEUR QUI L'A TERRASSÉE. J'ADRESSE A SON ÉPOUSE A SES PARENTS A SES ENFANTS MES CONDOLÉANCES LES PLUS ATTRISTÉES AVEC L'ASSURANCE DE MES SENTIMENTS DE PROFONDE ET FRATERNELLE COMPASSION. DORMEZ EN PAIX APRÈS UNE VIE BIEN REMPLIE.
INA LILLAHI OUA ILEIHI RAJIOUNE -
- 2. Benchaib Larbi ( Abdelkader ) Le 02/12/2014
تغمد الله روح الفقيد برحمته الواسعة وأسكنه فسيح جنته وألهم ذويه جميل الصبر والسلوان
انا لله وانا اليه راجعون -
- 3. DR:CHEBAB MOHAMED Le 01/12/2014
tres touché par la perte si cruelle de mon ami et confrere le DOCTEUR :ali hadji !on prie allah le tout puissant de l'accueillir dans son vaste paradis: inna lillahi wa inna ileyhi raji3oune! -
- 4. b.Ait-chalal Le 19/06/2014
Les rangs des anciens ne cessent de s'éclaircir. Mes sincères condoléances à sa famille et tous ses proches.C'était un copain de promo, humble toujours disponible et souriant.Puisse le TOUT PUISSANT l'accueillir en son vaste paradis et apporter soutien et courage à sa famille et à ses proches.
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