Occupation de Miliana le 08 Juin 1840 /Par Amar BOUAÏCH
1. Un peu d’histoire, ...
Après la prise d'Alger en 1830, Moulay Abderrahmane (1822-1859), le Roi du Maroc revendiqua la possession de Miliana et y installa un de ses officiers nommé Mohamed Echergui qui dû promptement l'abandonner. Les Français se heurtent à la résistance de la population qui a fait allégeance à l’Emir Abdelkader.
En 1831, Hadj Mahieddine Esseghir Sidi Embarek descendant du saint patron de l’antique famille des marabouts de la zaouia de Koléa fondée au XVIIème siècle par Sidi Ali Embarek ; était cheikh de la zaouïa dans cette ville au moment de la prise d’Alger par les forces Françaises. Il est nommé Agha des Arabes, pour donner aux Algériens une représentation politique face à la situation nouvelle causée par la prise d'Alger par les troupes françaises l'année précédente. Mahieddine pose pour condition que les militaires français ne sortent pas d'Alger. Tout changea avec la nomination du duc Savary de Rovigo et les massacres perpétrés par ce dernier à la moindre résistance des tribus arabes. Ce contrat n'est cependant pas respecté et rompu : la tribu d'El-Aouffia est exterminée près de Maison Carrée (El Harrach). Il déclare alors la guerre aux Français.
Le premier combat contre l'armée coloniale se déroule à Boufarik, dans la plaine de la Mitidja, le 2 octobre 1832. Défait, il se retire chez les Hadjoutes, puis à Miliana. Il rencontre pour la première fois l’émir Abdelkader en 1835 à El Attaf-Oued chlef et accepte de faire alliance avec ce dernier.et accepte le « khalifa », gardant autorité sur l’algérois et le Titteri, avec Miliana pour capitale. Les troupes d’Abdelkader et Hadj Mahieddine vont devoir combattre ensemble les troupes d’un chérif nommé Hadj Moussa, qui a pris l’initiative de lancer une nouvelle guerre sainte depuis Médéa. Leur alliance va obliger les français à combattre sur deux fronts : l’Algérois et l’Ouest.
Le traité de paix de Desmichels garantit à l’émir Abdelkader de prendre possession de Miliana à partir de 1835 où il fut accueilli chaleureusement par la population et les notables de la ville. En Avril 1835 l'émir Abdelkader fit son entrée à Miliana, qui installa un califat dont il confia l'administration de la ville à Cheikh Mahieddine Esseghir .
En 1836 Hadj Mahieddine est au faite de son pouvoir. Cependant est réapparu en Algérie comme gouverneur général le maréchal Bertrand Clauzel, qui va infliger de lourdes défaites à l’émir Abdelkader. Pour compenser ses revers en Oranie l’émir revient à Médéa en 1937 et installe son frère Mustapha. Finalement il signe un nouveau traité -Traité de la Tafna –le 30 Mai 1837de paix avec le général Thomas Robert Bugeaud, le 11 juillet 1837, Hadj Mahieddine est emporté par le choléra à l’âge de 48 ans , peu après la signature du traité de la Tafna. Son corps repose depuis dans la mosquée de Sidi Ahmed Ben Youcef à Miliana. Son neveu Mohammed ben Allal lui succède en qualité de khalifa pour tout l'Algérois.
Mohammed Ben Allel, né en 1810, est une figure centrale de la résistance à la conquête de l'Algérie par la France. Il reçoit l'enseignement religieux de la tradition du soufisme et est éduqué par son oncle El Hadj Mahieddine Es S'ghir ben Embarek. Au côté de ce dernier, il participe en octobre 1832 au combat de Boufarik, premier affrontement d'envergure contre l'armée française depuis la Prise d'Alger en Juillet 1830. Il est ensuite capturé et gardé prisonnier à Alger pendant deux ans. Durant sa captivité, il fait la connaissance de Lamoricière, alors chef du bureau arabe de l'armée française. À la suite de la signature du traité Desmichels entre Abdelkader et le général Louis Alexis Desmichels, il est libéré en 1834. Mais la paix ne dure pas et Mohammed Ben Allel participe à plusieurs combats contre les Français aux côtés de son oncle dans la plaine de la Mitidja et le Titteri. Il avait à sa disposition 10 440 combattants. Il se vit attaqué et pillé par la tribu de Soumata et quand il voulut entrer à Médéa les habitants ne consentirent à le recevoir que sans escorte.
L’Émir y édifia plusieurs ouvrages dont le siège de son califat et une manufacture d’armes. Le 17 février 1939 : L’Émir Abdelkader Ibn Mahieddine, accompagné de son ministre des Affaires étrangères, Miloud Ibn El Arach, rencontre à Miliana l'envoyé spécial et gendre du Maréchal Valée, le colonel Desalles pour entamer des discussions sur l'éventualité d'une modification à apporter à la convention de la Tafna.
A la reprise des hostilités, en Novembre 1839, Ben Allel est à la tête de la cavalerie régulière qui dévaste les implantations françaises de la Mitidja. Mais après les défaites de Oued El Alleug (31 Décembre 1839) et du col de la Mouzaïa (10 mai 1840), suivies de l'évacuation de Miliana, il se replie dans l'Ouarsenis, d'où il harcèle les colonnes françaises qui occupent la vallée du Chelif.
La ville de Miliana est occupée le 8 Juin 1840 par les troupes du maréchal Valée, mais la garnison est assiégée à plusieurs reprises par Ben Allel et les tribus locales. Des renforts furent alors dépêchés d’Alger par le maréchal Bugeaud pour approvisionner les assiégés.
En Mai 1841, il négocie avec Antoine-Adolphe Dupuch, évêque d'Alger, un important échange de prisonniers qui provoque la colère du général Thomas-Robert Bugeaud, nouveau gouverneur général d'Algérie et partisan d'une guerre à outrance.
En 1842, le général Thomas-Robert Bugeaud tente d'acheter la soumission de Mohammed Ben Allel par la restitution de toutes ses terres, mais ce dernier décline son offre par une lettre cinglante.
Lors de la prise de la smala de l’Émir Abdelkader par le duc d'Aumale le 16 mai 1843, toute la famille de Mohammed Ben Allel est faite prisonnière et internée sur l'Île Sainte-Marguerite au large de Cannes. Il leur écrit : « Pour ce qui est de me rendre près de vous chez les infidèles afin de mettre un terme à votre captivité, n'y songez pas ! Vous m'avez dit d'aller à vous, et moi je vous réponds : Oui, sans doute, rien ne nous est plus cher ici bas que les auteurs de nos chose jours, nos frères, nos proches, nos enfants. S'il s'agissait de vous racheter avec de l'argent ou au prix de ma vie, je le ferais ; mais me rendre chez vous, parmi les chrétiens, est une démarche que réprouve la loi de Dieu et de son prophète : ce serait les quitter tous les deux pour aller aux impies. J'espère que je ne ferai jamais pareille chose».
Rejeté par la puissante armée du général Thomas-Robert Bugeaud dans l'ouest de l'Algérie, aux confins du Maroc, il trouve la mort à la tête de 700 cavaliers dans le combat de l'oued El Malah, le 11 Novembre 1843 dans le combat qui l’a opposé aux forces d’agression du général Tempour.
Tué d’un coup de fusil puis décapité, sa tête fut exposée à Miliana et Alger pour démoraliser la résistance de la population. Ensuite un officier de l’armée coloniale, fut chargé de remettre la tête à sa famille à Koléa. Son corps n’a jamais été retrouve ; seule sa tête est enterrée dans le mausolée familial de Koléa. À ce martyr aussi redouté que respecté, Bugeaud fait rendre les hommages militaires en 1847.
Les troupes françaises incendient la cité de Miliana en 1844 pour déloger les partisans de l’émir. L’empereur Napoléon III vint en visite à Miliana en 1865.
Le souvenir de Ben Allel se perpétue par la tradition orale, en particulier dans les régions de Koléa et de Miliana où un village porte son nom.
En 2011, le premier livre consacré à ce héros négligé mais incontournable de la résistance à la conquête française est publié aux éditions du Tell de Blida sous le titre « la tête dans un sac de cuir ».
2. Récit de la prise de Miliana :
« Dès le 4 Juin, l’armée française était de nouveau en campagne. D'après des informations qui paraissaient au moins probables, l'Émir Abdelkader aurait divisé ses forces et renvoyé même une partie de ses réguliers à leurs dépôts pour se refaire; il ne serait resté que le bataillon de Barkani devant Médéa, celui de Sidi-Mbarek à Miliana et celui de Ben-Tami à quelque distance de cette ville, au pont du Chélif. C'était à Miliana qu'en voulait le maréchal Valée. Il partit le 4 de Blida, traversa la plaine Hadjout, bivouaqua le 5 à Karoubet-el-Ouzri, sur le territoire des Beni-Menad, qui, le lendemain, pour lui avoir cherché noise, virent brûler leurs moissons, passa le défilé de Chab-el-Kêta et s'arrêta, dans la soirée du 6, au confluent de l'Oued-Hammam et de l'Oued-Djer. Le 7, l'armée rejoignit au marabout de Sidi-Riar le chemin direct d'Alger à Miliana, remonta la vallée de l'Oued-Adelia, franchit sans difficulté le col du Gontas et descendit dans la plaine du Chélif. Pendant la nuit, la lueur d'un grand incendie éclaira de ses reflets rougeâtres les sommets du Zaccar, et, le jour venu, des tourbillons de fumée servirent à la colonne de repère et de guide dans la direction de Miliana livrée aux flammes.
Suspendue au flanc méridional du Zaccar qui lui prodigue ses eaux bienfaisantes, la ville est reliée à la plaine du Chélif, qu'elle domine de très haut, par un couloir à pente roide au fond duquel court, pendant près de 10 Km, l'Oued-Boutane rapide et limpide. C'est au marabout de Sidi-Abdel-Kader qu'est le seuil du défilé. C'est de là que le maréchal Valée fit ses dispositions pour aborder la ville et combattre l'ennemi, s'il était possible. Les deux brigades de la première division, composées, l'une des zouaves et du 2e léger, l'autre des tirailleurs de Vincennes, du 17e léger, d'un bataillon du 23e et d'un bataillon du 24e de ligne, avaient pour chefs les colonels Changarnier et Bedeau. A ces deux brigades était confiée l'action de vigueur; la seconde division, formée du 3e léger, d'un bataillon du 1er de ligne, du 48e et de la légion étrangère, demeurait en réserve, ainsi que le 1er régiment de chasseurs d'Afrique, le 1er régiment de marche et les gendarmes maures. A l'ouest de la ville, sur un plateau, on apercevait un bataillon de réguliers et trois petites pièces d'artillerie que le feu d'une section de campagne eut bientôt fait disparaître; à part quelques groupes de cavaliers qui se tenaient en observation sur les hauteurs, le gros de la cavalerie arabe était massé dans la vallée du Chélif.
La première brigade par les crêtes de droite, la seconde par les crêtes de gauche, avançaient lentement, réglant leur pas sur le convoi qui gravissait péniblement la pente accidentée du vallon. Quand elles arrivèrent à portée de l'ennemi, les réguliers les honorèrent d'une salve, puis firent demi-tour et se mirent en retraite par le chemin de Cherchel. Le premier soin des troupes, après leur entrée dans Miliana, fut de courir aux incendies ; l'eau ne manquant pas, elles en eurent assez facilement raison ; mais c'était une désolation que celte ville aux maisons croulantes, aux ruelles encombrées de ruines. Au dehors, dans le ravin de l'est, les ingénieurs à la solde d'Abd-el-Kader avaient commencé l'établissement d'une fonderie et d'une forge à la catalane. Pendant trois jours, le maréchal fit réparer les brèches de l'enceinte, construire en avant des jardins quelques ouvrages défensifs, et approprier pour le logement des troupes les maisons les plus habitables. Deux mosquées furent occupées, l'une par l'hôpital, l'autre par le service des vivres. Après celte installation hâtive, la garde de la place fut confiée au lieutenant-colonel d'Illens, du 3e léger, avec un bataillon de son régiment, un bataillon de la légion étrangère et deux détachements du génie et de l'artillerie; l'effectif de la garnison était de 1,236 hommes.
Le 12 Juin, le corps d'armée quitta Miliana; comme d'habitude, il fut sérieusement inquiété au départ. Les réguliers avaient reparu; il y en avait trois bataillons et beaucoup de Kabyles; l'infanterie des colonels Changarnier et Bedeau repoussa leurs attaques, et lorsque la colonne eut débouché dans la vallée du Chélif, la cavalerie ne s'épargna pas. Deux belles charges furent poussées par le commandant Bouscaren, à la tête des gendarmes maures, et par le commandant Morris, à la tête des chasseurs d'Afrique. La perte de cette journée fut de quatorze morts et de cent dix blessés. Le soir, le bivouac fut établi sur les deux bords du Chélif, au gué de Souk-el-Arba. Selon les ordres du maréchal, l'arrière-garde avait brûlé tous les gourbis, toutes les moissons sur son passage. Constamment observé, mais à distance, par la cavalerie arabe, le corps d'armée traversa, le 13, la plaine des Djendel et les ravins des Ouamri, passa, dans la matinée du 14, en vue de Médéa, et bivouaqua, l'après-midi, au bois des Oliviers. »
Bibliographie : Les commencements d’une conquête. L’Algérie de 1830 à 1840 par Camille Rousset
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