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L'Emotion, à son paroxysme / Par Mohammed Midjou

L'An 571 après JC (Année de l'éléphant) et le douze du mois lunaire (Rabie I) est né à la sainte Mecque notre prophète Mohamed (Que le salut soit sur lui). Le monde musulman célèbre de coutume l'anniversaire de cet heureux évènement dans la piété et avec beaucoup de ferveur. C'est un moment de recueillement à la mémoire du Messager d'Allah, notre guide spirituel qui par ses prêches prônant clémence et miséricorde, exhorta tout au long de sa prophétie, les croyants, à plus de réalisme recommandé par le créateur, le tout puissant, pour leur pardonner leurs péchés et les épargner demain de tous les supplices et de toute forme de châtiment divin.

En Algérie, l'enthousiasme aidant, cette commémoration diffère d'une région à une autre par la teneur de l'action, selon des croyances tribales et en fonction des coutumes ancestrales spécifiques à chaque localité, il y a partage néanmoins de points communs dans l'aspect rituel et religieux comme le Henné, l'illumination des lieux saints au moyen de bougies et cierges, le Madih, et surtout la lecture coranique dans des veillées assez tardives entre les adeptes de la bonne foi et ce jusqu'au petit matin à la prière du fadjr.

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Millénaire, Miliana, n'étant pas en marge de ces festivités, a su toujours préserver ses traditions même durant l'occupation pour s'imposer avec ses convictions religieuses et nationalistes devant l'inexorable menace colonialiste d'éradiquer à la racine tous les repères. Il est de ce fait rapporté par la légende que la M'nara transitait lors de la cérémonie chaleureuse, par les différents mausolées que sont, Sidi Belkacem, Sidi Belhadli, Sidi Bouguemine avant de finir sa course dans celui de Sidi Ahmed Benyoucef et exposée pour la séance mythique des enchères de tous les produits achalandés. On ne peut mieux offrir sans liberté d'agir. Par cette réflexion, nous voudrions avancer que dans son fondement, l'association El-Manara s'était fixé comme objectif principal, la remise au goût du jour de toutes les coutumes milianaises en respectant au mieux, le rituel ancestral pour peu que les moyens s'en mêlent. Dans cette perspective, il nous est venu à l'esprit, l'idée de participer à cette manifestation religieuse avec la notion de conférer à celle-ci, une particularité ancienne, aussi bien la procession que la commémoration du lendemain, soit une touche épousant le caractère original de l'évènement dans tous ses états, loin de toute empreinte moderniste.

La réalisation de ce projet supposait dans son ensemble, le défilé avec la M'nara, un récital de chants religieux rythmés au son du bendir, une procession garnie aux couleurs des étendards et des oriflammes brandis par des marcheurs tout de traditionnel vêtus.

La deuxième partie était consacrée à l'exposition de la M'nara en salle, la lecture de quelques versets coraniques, une mini conférence d'un imam dont le sujet éveillait bien des consciences sur les bienfaits de la religion et la portée de l'évènement. Et enfin, l'hommage à une illustre personnalité du culte musulman ayant fait preuve de fidélité et de servitude envers Dieu, et aussi par le sentiment d'un devoir accompli au sein d'une mosquée, le tout enveloppé dans une atmosphère vertueuse de pardon, de dévotion où l'assistance en réalité, a pris ce jour là, l'aspect, d'une confrérie religieuse par son intérêt manifesté au programme et l'appréciation exprimée pour la qualité des intervenants, impressionnants par leur atout captif dont le cheikh Mustapha Cherchali que nous remercions vivement pour avoir honorer notre invitation en évoquant la parole d'Allah dans un temple, lui-même lieu de prière avant l'occupation, transformé depuis 1840 pour d'autres nécessités par les colons (information rapportée par Med Landjerit ).

Le projet ainsi retenu, des dossiers consistants sont remis à tous les organismes et administrations habilités à couvrir l'évènement financièrement mais en vain. Une preuve de générosité est cependant signalée parmi les bienfaiteurs pour supporter les charges de conception sans compensation réciproque, et la contribution appréciable du Ministère de la Culture qui ne cesse de manifester son intérêt grandissant à la réhabilitation de la mémoire collective. Les uns comme les autres, sont priés de trouver à travers ces lignes, l' expression de notre pleine gratitude et de reconnaissance pour les efforts consentis envers la culture., des gestes pour encourager la sauvegarde du patrimoine qu'on ne peut les oublier de sitôt.

Cette magnifique M'nara est l'œuvre du CFPA de Miliana, un atelier de menuiserie à l'honneur, que ses concepteurs, le Directeur, ses encadreurs et ses stagiaires sauront trouver également ici, le sens de nos sentiments respectueux pour cet acte de bravoure.

La participation officielle s'est donc confirmée d'un commun accord avec le comité communal d'organisation, épreuve à laquelle notre association avait arrêté un programme digne de nos valeurs morales et religieuses, ne négligeant aucune piste bienfaitrice en couverture des préparatifs qui se sont étalés sur un semestre environ.

En cet après midi du Dimanche 08 Mars 2009 à 18h00 est annoncé le cortège mouloudéen. La délégation autoritaire était cantonnée jusque-là dans l'enceinte de l'école primaire O. Zitouni veillant aux derniers détails de la manifestation avec en prime la M'nara présentée par le quartier (Tahtaha). Les fêtards dégustaient jovialement le mille-trous (Crêpes) arrosé de miel offert par la grande maison en attendant le signal de départ. De notre part, nous étions stationnés dans la cour des ateliers de la mine, lieu appelé (la remise) où à défaut de ponctualité, nos bambins, contraints d'attendre, avaient poireauté pendant deux interminables heures pour s'engouffrer dans le cortège.

En tête de la procession, l'équipe dirigeante communale progressait toute souriante en subissant le regard narquois de la foule. Dans un vacarme assourdissant et indescriptible de tambours, de trompettes, de salves, de pétards, de klaxons, de clameurs, nous nous sommes glissé à l'intérieur du torrent humain juste derrière de somptueux cavaliers, héritiers de la glorieuse chevauchée de l'Emir, déchargeant leur double canons dans le ciel azur ce jour là, au grand bonheur des visiteurs chanceux. Alignés sur toute la largeur de la chaussée, en aval et en amont de la merveilleuse M'nara, portée sur un plateau mobile, et surveillée infailliblement par une brigade civile désignée par le cheikh Med Landjerit, les enfants tous joyeux, trimbalaient une petite M'nara, un bien précieux pour chacun. A l'allure où le spectacle se déroulait, il y avait tout lieu de croire à une fête du cinq juillet. La fanfare aux couleurs de l'emblème national dégageait des airs musicaux patriotiques, les pétarades asiatiques de différent calibre fusaient des trottoirs par-dessus les têtes, obligeant les présents à se boucher les oreilles et réagir par réflexe par des reculs, sans oublier l'insigne féerie à l'amour du baroud, démontrée frénétiquement par le sieur Balalay et ses pairs dans un numéro de danse aux armes sur piste tels des saltimbanques dans un numéro fétiche. Un spectacle haut en couleurs réchauffé par la poudre explosant, tantôt sur le bitume, tantôt dans le ciel faisant fuir par quartiers entiers dans les nuages des volatiles affolés, par peur de voir leur peau accidentellement perforée de plomb.

L'assistance amassée en bordure des trottoirs faisait fonctionner d'innombrables portables photos pour immortaliser l'évènement, alternés par le crépitement des flashs numériques éblouissants, mêlés aux youyous stridents des femmes célébrant leur longue journée marsienne dans la liesse populaire. L'itinéraire confus grouillait de monde, multipliant par cette cohue des embouteillages de pieds et de roues. Les chevaux irrités, hennissaient et se cambraient majestueusement, menaçant les cavaliers par des culbutes en arrière. Sans improvisation alors, la marée des marcheurs marqua une halte à la place de l'horloge, l'occasion pour les cymbaliers d'intensifier sur arrêt fixe et au rythme des tam-tams, l'atmosphère, déjà en ébullition. Dans un climat de fête foraine où l'arsenal métallique grinçait de partout, associé au grouillement de la foule, le sens religieux de l'évènement en nette diminution, s'est métamorphosé en un effet plus prosaïque dépourvu de saveur. Même si le mouvement proprement dit, était pacifiste et unificateur de rangs serrés à ne pas pouvoir casser des oeufs, il allait de peu prendre un air électoraliste. L'illusion en fin de compte de préserver la tradition par les faits projetés, n'a duré que le temps des préparatifs.

La M'nara à deux coupoles du quartier des Annassers s'offrait à nos yeux sans un réel attrait. Vêtue d'un tissu verdâtre (bizarrement la teinte du camion) et d'or dentelée, le feuillage des palmiers (encore du vert) ombrageait en partie son éclat et dépréciait sa mise en évidence et ce sur un circuit embelli d'africaines en majorité, vertes. Il est clair que nous ne pouvions distinguer lucidement la valeur et la prédominance de chaque objet dans ce bataclan tout de vert badigeonné. Notre commentaire n'enlève en rien à la reconnaissance de tous les participants qui, habituellement, n'ont manqué aucun rendez-vous de ce genre et qu'ils sont à remercier fortement pour leur louable initiative. Perchée donc sur un véhicule lourd, elle paraissait mieux sécurisée, hors de portée des chasseurs de confiserie, résignés à enfourcher la benne, par crainte de se couvrir de ridicule. En progressant dans des ruelles étroites en direction de la mosquée, la foule de plus en plus dense affluait de partout comme des flots charriés et déversés subitement par un orage hors saison. Un échantillon de cette masse compacte s'agglutina aux abords des Mnarette, scrutant le moment propice, une cohorte au regard du lynx, toute décidée à marquer l'assaut en fixant indifféremment les sachets de bonbons et de fruits. Face à cette menace absurde mais, méprisante, nos collaborateurs en alerte, ont vite fait d'adopter un comportement dissuasif, réagissant avec agressivité en joignant le verbe râleur à la gestuelle poignante. Quand l'une des œuvres arriva au mausolée de Sidi Ahmed Benyoucef pour la Baraka nocturne, il était sonné pour nous autres, convoyeurs, l'échappatoire pour notre joyau. Et c'est sur un coup de nerfs, une dose d'adrénaline, dans un dernier élan énergique, qu'il a été mis fin à ce calvaire, non sans peine, pour le mettre à l'abri au sein du théâtre en attendant l'acte deux du lendemain. Un affront à une meute déchaînée que la pagaille est devenu par les caprices du temps, leur mode de prédilection et delà, l'éternelle interrogation de dire, Où allons-nous ?

Depuis son inauguration, ce bastion culturel, versé essentiellement dans l'animation musicale, théâtrale et autres conférences sur des thèmes classiques, n'a pas connu de pareille cérémonie, rehaussée par des intervenants de tempérament religieux, dévoués corps et âmes pour les préceptes de l'Islam et dont nous nous réjouissons fièrement de leur présence.

Solennellement ouverte en cet après midi du 09 Mars 2009, cette rencontre débuta avec quelques versets du livre saint par l'élève Bensouna qui semble prendre goût à nos programmes. Le cheikh Mustapha avait axé son allocution sur l'obligation de respecter les piliers de l'Islam et partant, la conduite sainte et bienfaitrice du Messager d'Allah. Dans un silence de cathédrale, à entendre voler une mouche, l'assistance enfantine et adulte, impressionnée, était toute concentrée au bref aperçu théologique, exprimé pieusement aux fins de purifier les âmes et l'enceinte même, des mauvais esprits. Que Dieu bénisse l'orateur et son entourage pour le geste euphorique accompli en franchissant le seuil du temple culturel avec pour mission essentielle, d' aider les uns et les autres à s'aligner sur le droit chemin et pour tout conseil, l'amour entre frères, la congratulation et d'autres qualités dont le musulman détient par réputation. Un enchaînement immédiat s'ensuivit avec le cheikh Djillali Salem et ses compagnons du Dhikr pour permettre aux présents de méditer un moment sur le parcours de l'humanité avant et après la naissance de notre prophète qui a enduré par la grâce de Dieu, d'atroces et sanglantes épreuves avant de pouvoir faire triompher l'Islam.

L'élément surprise fut sans conteste la présence du cheikh El-Hadj Benachour, de son vrai nom Mohamed Tagrout, un invité exceptionnel que l'association El-Manara à sa tête Med Landjerit, tenait à lui rendre un hommage, mérité pour sa carrière professionnelle sculptée dans les entrailles de la mosquée Sidi Ahmed Benyoucef et bien d'autres services rendus en d'autres lieux cultivant la Dâawa et la Rahma. De surprise en surprise, l'une d'elles, est l'œuvre de son Excellence Mme Khalida TOUMI, Ministre de la culture, qui s'est excusée de son absence, en dépêchant son représentant Hamid BENBLIDIA avec la consigne de remettre un précieux cadeau au vieux père (Coran avec support). Intenses, en échange, étaient les remerciements à Madame et autres prières de la part de l'octogénaire pour ce geste noble.

L'animateur aborde dans le même sens en mettant en exergue le travail colossal entrepris par Mr Benachour (retenir tout le coran en mémoire) au côté de ses frères entretenant inlassablement la maison de Dieu dont il est devenu le chef spirituel. Le pseudo de Benachour le puise depuis son enfance aux alentours de la fontaine sise au quartier des Annassers, son lieu de naissance comme confirmé par ses propres aveux.

Pour couronner l'évènement d'un goût de miel, les convives ont été priés durant la pause, à s'approcher des buffets installés à l'occasion pour se sucrer en thé et tamina-maison, préparée exclusivement en la circonstance, par la famille Landjerit ( Président ) que nous remercions au passage. 2009Après maintes palabres de satisfaction, d'encouragement et de remerciement aux uns et aux autres en pleine collation, nos hôtes religieux ont été accompagnés vers la sortie comme ils l'ont été à l'arrivée avec le seul espoir de se retrouver dans de meilleures occasions.

La suite du programme était arrosée de mélodie andalouse avec la première participation de la nouvelle association El-Andalybia, nouveau né dans le giron culturel. Les éléments, rutilants dans leurs habits classiques, jubilaient de joie même sous le trac. Ils nous ont gratifiés ce soir là par un mezdj (Mazmoum et Medjenba) dont l'élève Meriem Benali s'est illustrée merveilleusement par sa dextérité. La cohésion dans l'ensemble était perceptible nonobstant quelques hésitations dans la chorale, encore du travail en perspective pour d'autres rendez-vous plus palpitants. A la clôture, des sachets de friandise accompagnés de Mnarette sont offerts aux enfants participants en allant rejoindre leurs parents subjugués, prions le seigneur de les assurer de sa protection contre les forces obscures et le mauvais oeil.

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Commentaires

  • Meskellil
    • 1. Meskellil Le 28/12/2015
    Bonjour M. Midjou,

    Bonjour à tous,

    Et l’émotion est bien là tout au long du récit ! Merci beaucoup M. Midjou pour cette immersion totale dans le contexte historique rigoureusement documenté, dans la profonde spiritualité et la parole sacrée dont est empreinte cette tradition et admirablement rendues, dans les diverses histoires et anecdotes humaines dans leur rapport à la Mnara. Un événement spirituel aux visées nobles, louables, hautement symboliques pour l’enracinement des mémoires dans un patrimoine ancestral, préservé de toute « folklorisation ». Une « aventure » collective belle, passionnante, « rassembleuse », comme on aimerait en voir souvent.

    C’est un récit sensible, riche, vivant, rythmé, dense, varié, coloré. Le lecteur est là au milieu de la foule, vit pleinement cette effervescence, le Madih, les youyous, les cris, les éclats de voix, sursaute au son du baroud, ressent cette tension tout au long de la progression jusqu’à la mosquée de Sid Ahmed Benyoucef. Atmosphère et ambiance palpables, documentation historique approfondie, solennité et ferveur pleinement transmises.

    M. Midjou, à nouveau merci pour la haute qualité, la richesse et la sensibilité de votre récit. Merci également à tous les acteurs qui ont rendu cela possible. Puisse cette tradition ancestrale préserver, conserver l’authenticité de son cachet!
  • Chantal
    Bonjour Med Midjou,

    Je vous remercie pour cette excellente rétrospective de cette fête religieuse et, notamment, des coutumes Milianaises. J'ai trouvé votre article passionnant et très didactique pour celles et ceux qui, comme moi, ne connaissaient absolument rien à ce genre de festivités (avant de vous lire !).

    Vous répondez ainsi à toutes les questions que je me posais et, en particulier, celle de savoir si cette célébration avait eu lieu pendant la guerre coloniale. Ayant habité Miliana pendant toute cette période, j'en déduis donc qu'elle avait bien eu lieu mais que je n'ai jamais eu l'occasion de la voir. Au demeurant, je pense que les algériens ont bien fait de préserver leurs traditions - même pendant la période d'occupation coloniale - car renier ses racines, quelles qu'elles soient, c'est se renier soi-même.

    Bonne journée à tous.

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