Attentat au Café VINCENT/ Par Med BRADAI
Ce jour là, tout paraissait calme dans les rues de la ville comme tous les jours d'un Dimanche. C’était une journée de repos pour tout le monde. Journée de sortie des internes du lycée de garçon de Miliana. Comme l'est une journée de permission aux militaires. Ce jour là le destin des uns va dépendre des autres.
Au coin d'une rue de cette ville le bar d'un nommé Vincent. Ce jour là, le bar était plein à craquer de soldats comme tous les Dimanche venus vider des verres au son d'un air d’accordéon et à consacrer leurs temps vides à d'autres jeux existants en ce lieu habituel pour eux.
Dehors, parée en tenue de paras, une patrouille militaire descendait la rue Saint-Paul. En tenue impeccable elle descendait lentement faire sa tournée comme font toutes les patrouilles de randonnée. A en juger leur tenue bien propre venant tout droit à l'instant de leur logistique, il n'en doute à quelqu'un de tirer quelques soupçons à leurs allures.
En file indienne, ils contournèrent complétement l’horloge comme pour inspecter chaque recoin des rues aux alentours. La patrouille fit le contour de l'horloge et se dirigea continuant son chemin vers la rue du coin du Bar Vincent, l'horloge indiquait 16h de l’après midi.
A l’intérieur du bar, il y avait du monde et devant la porte se tenait un adolescent. Un enfant du lycée de garçons de Miliana que le destin plaça en cet endroit en ce moment là. Cet enfant était un interne et c’était son jour de sortie, on l'appelait Kaddour au lycée, ses camarades le surnommaient TOTO.
Le premier para arrivé devant la porte pointa son arme en direction de l’intérieur, l'enfant se trouvait en position devant lui. A la vue de l'arme automatique une mitraillette pointait en sa direction l'enfant cria ! C’était un cri d'un innocent. Un cri que tout être en frayeur peut pousser.
Le para lui cria ! OIKHAR ! OIKHAR!!! le dégagea pour lui le champ libre et tira quelques rafales, un autre jeta une grenade. Le cri de l'enfant a déclenché aux oreilles des militaires et des gens présents en ce lieu cette alerte qui a épargné pas mal de vies.
Cette histoire nous a été apporté par un ancien interne du lycée des années 50 qui a vécu ces moments là et que les retrouvailles 2012 nous ont permis de nous retrouver et de conter nos souvenirs de ce passé.
Commentaires
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- 1. Chantal Le 25/10/2016
Bonsoir Pastor Raphaël,
Cela signifie t'il donc que vous n'étiez pas rentrés tous les deux dans le bar de mon père ce soir-là ?
Merci pour votre réponse. -
- 2. PASTOR Raphaël Le 25/10/2016
Ce soir là, à trois nous étions sortis en permission et donné rendez-vous au café. Celui qui nous avait attendus là y a laissé la vie. Il y fit partie des 3 morts et neuf blessés -
- 3. Chantal Le 06/08/2013
Bonjour Mohamed,
Merci infiniment de m’avoir fait parvenir votre message bien qu’il vous rappelle un souvenir douloureusement humiliant. Je me réjouis néanmoins d’apprendre que vous avez reçu l’aide et le soutien de mon père. Etant donné que je n’ai jamais entendu parlé de cet événement, j’aimerais, si cela vous est possible, que vous me donniez davantage de détails. Etiez-vous, comme moi un enfant ou un adolescent pendant cette guerre ? Etiez-vous déjà un adulte ? Pouvez-vous me dire dans quelles circonstances cet événement autant révoltant qu’insultant s’est produit ? D’avance, je vous en remercie. Bonne journée. -
- 4. mohamed-azizi mohamed Le 06/08/2013
cet évènement me rappelle une situation que j' ai vécue à proximité du bar Vincent, lorsqu' un groupe de militaires éméchés m' ont plaqué contre le mur en m' obligeant d' embrasser le drapeau de l' oas. Et c'est grâce à l' intervention de Mr. VINCENT que j' ai échappé à leur griffes. C'est une anecdote qui m' a marqué. -
- 5. Chantal Le 22/03/2013
Bonjour Med. Merci pour ces informations complémentaires. Nous nous rejoignons sur le fait qu’il n’était pas utile d’apporter des précisions sur l’intérieur du café après la fusillade … Le but des échanges sur ce site n’est pas l’étalage de la souffrance et/ou de cultiver l’esprit de vengeance. J’ai cependant pensé que le mail que m’avait fait parvenir cet « ancien » du CRIRAC valait la peine d’être publié car j’ai vraiment été impressionnée d’une part, par la précision de ses souvenirs cinquante ans après. D’autre part, que ceux-ci soient exprimés sans ressentiment malgré des circonstances douloureuses. Je crois que vous l’aurez compris au travers de nos échanges, je suis convaincue qu’un retour sur notre passé ne justifie pas pour autant de s’enfermer dans une prison de haine qui nous dépossède de notre humanité. Bien entendu, j’ai demandé à cet ancien militaire son autorisation avant de publier son texte, ce qu’il a accepté avec une grande générosité. Je pense qu’il ne m’en voudra pas si je vais un peu plus loin en vous révélant la fin de son mail (je crois que cela fera sûrement plaisir non seulement à Noria mais également à beaucoup de Milianaises et Milianais) : « Je garde, malgré la guerre, de beaux souvenirs de Miliana qui est une petite ville magnifique perchée aux flancs du Zaccar … inoubliable ! ». Bonne journée. -
- 6. bradai Le 21/03/2013
Bonjour Chantal ,
A ce texte publié relatant l'attentat du café Vincent c'est suite à une rencontre qui eut lieu à un endroit ou le hasard a fait une fois de plus réuni d'anciens lycéens de Miliana.
je rappelle que Je ne suis pas Milianais,mais la ville de Miliana est en moi comme beaucoup d'internes ayant fréquente son lycée .Le lycée de Garçons qui fut à une époque antérieure au lycée Mustapha Ferroukhi par leur appellation.
On a toujours en soi, l' image de cette ville qu'on garde de notre adolescence.
Le souvenir en discussion de ces années lycée, a fait ressurgir notre passé et au souvenir de cet élève Kaddour dit Toto présent lors de cet événement historique ,a fait qu'un ancien de cette vieille école nous a parlé un peu de notre temps qu'on a vécu nous en tant qu’élèves .
En racontant ce fait historique rapporté, d'aucuns à part les témoins et les deux protagonistes.(le Moudjahid en tenue de para et l’élève Kaddour) ce jour là ne savent peut être que l’opération d'attentat n'avait dépendu que d'un souffle d'un cri d'enfant .
Le texte a vrai dire paraissait à sa fin incomplet et ça a été voulu de ma part de ne pas en dire trop . Le spectacle désolant à l’intérieur du lieu ne peut être décrit que par celui qui l'a vécu ou présent en ces lieux ce jour là.
Et le commentaire joint par vos soins avec des précisions rapportées par ce témoignage en récit du soldat témoin ce jour n'en fera au lecteur que valider la véracité de ce fait .
Dans ce décor de cette ville, un passé historique a laissé sa place vide. Elle a été vécue en un temps et lieu par des gens et qu'on ne peut effacer leurs traces comme on ne peut les oublier dans l'histoire de leur temps.
Comme dans ce jeu d'enfant de puzzle qui consiste à reformer une grande image découpée en petits morceaux de différentes formes et que lorsqu'une pièce vient à manquer,on ne peut la remplacer sinon d'une d' identique en forme et couleur .et qu'en fin de besogne en admirant la gravure ou l'on doit se contenter de ce vide qui manque à notre travail panaché.ou que l'on doit se dire pour que tout soit joli en ce tableau il faut récupérer sa vraie pièce manquant même abimée.
Car ,même abimée elle aura tout un charme d’être admirée....
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- 7. Chantal Le 20/03/2013
Bonjour Med Bradai. Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai lu très attentivement votre texte d’autant plus que je me trouvais dans le bar de mon père ce jour-là. C’est la raison pour laquelle je me permettrais d’apporter quelques précisions. C’était, effectivement, un dimanche du mois de janvier 1961. J’avais 13 ans et demi. Avant de poursuivre, j’aimerais préciser, aux « âmes sensibles », de ne pas lire ce qui suit.
Cet événement est resté gravé dans ma mémoire pour plusieurs raisons. Tout d’abord, lorsque la fusillade a commencé, je me trouvais devant le percolateur qui se trouve à gauche sur la photo de Mohamed Korri. Je faisais face à l’entrée du café (donc dos au percolateur). A ce moment-là, un nommé « Yahya » qui, comme Mohamed Korri, travaillait avec mon père depuis … des années, m’a jetée à terre. Tout s’est passé très vite. Dès que la fusillade a cessé, j’ai été sommée de ne surtout pas bouger. Je n’ai pas compris tout de suite … c’est après qu’on m’a expliqué que s’il ne fallait pas bouger c’est que, parfois, les rebelles rentraient égorger les personnes qui n’étaient pas mortes. Après quelques secondes d’un silence effroyable, j’ai entendu des cris de souffrances qu’il me semble toujours entendre des années après ! J’ai d’abord relevé la tête, puis je me suis relevée entièrement. Les rebelles n’étaient pas rentrés égorger les personnes restées vivantes sinon … je ne serais pas en train d’écrire ce commentaire. En me relevant, j’ai vu ce que, malheureusement, beaucoup d’enfants de la guerre ont vu et qu’il n’est pas utile de décrire ici … tout le monde aura compris. Une guerre n’est jamais belle ! Comme vous l’avez souligné très justement, le bar était plein à craquer de soldats du CRIRAC.
Tout ce qui s’est passé à l’intérieur du bar, j’en ai la mémoire intacte. Par contre, tout ce qui s’est passé à l’extérieur, je ne pouvais pas le savoir pour une raison simple : je n’y étais pas.
Pourtant, j’ai eu la chance, grâce à internet, d’être contactée en juillet 2012 par un ancien militaire du CRIRAC qui se trouvait dans le bar ce jour-là.
Je lui laisse la parole en reproduisant une partie du mail qu’il m’a fait parvenir et qui concerne l’attentat :
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« Depuis de nombreux mois nous ne sortions plus en ville avec mes camarades hormis les traditionnelles patrouilles.
Mais, ce jour là, je me décidais avec un copain à « sortir en ville » et vers 16 heures nous sommes prêts : Tenue N°1, chaussures cirées, et nous passons le poste de garde du CRIRAC sans réflexions désobligeantes…. On se dirige vers la rue Saint Paul que l’on remonte tranquillement vers le café qui est vers le haut de la rue sur le trottoir de gauche « le bon coin » ou le « café saint-paul »…
Il fait très beau et en remontant la rue nous croisons une patrouille de deux soldats qui eux descendent la rue, ce sont deux soldats maghrébins, en Tenue N°2, la MAT 49 posée sur le ventre, ils marchent tranquillement, et portent le calot bleu ciel à liséré jaune qui est traditionnel de l’armée du Train, ils font « ancien » comme les copains quand ils revenaient de manœuvre en Allemagne qui avaient l’air plus aguerris qu’en partant, c’est l’impression que donne ces deux gars là !
Durant notre trajet nous n’avons rencontré personne, la ville semble dormir, nous arrivons au café, les deux de la patrouille sont maintenant derrière nous à trente mètres, on passe alors la chicane en sacs de sable disposée à l’entrée, et on entre dans le bistrot ; il y a beaucoup de troufions, ça rigole fort, et je dirais qu’il y a plus de trente personnes debout et aux tables, on se dirige vers le bar en face de nous et on commande deux pressions, que nous réglons immédiatement, et c’est en portant le verre à mes lèvres que je me mets à imaginer une toute autre ambiance dans ce café, une tristesse immense me vient à l’esprit, et je dis à mon copain : « Viens on s’en va, si tu ne sors pas, moi je m’en vais ! » Il me regarde ahuri, depuis des mois que nous ne sortons plus ! Mais en voyant mon expression, il me suit pourtant sans rouspéter, et nous nous retrouvons à redescendre cette rue Saint-Paul, nos consommations sont restées intactes sur le zinc …
En quelques mètres nous retrouvons la patrouille des deux soldats qui remontent la rue, et nous prenons la première rue à droite qui nous ramène à la caserne, c’est au moment où nous tournons l’angle de la rue que les deux fellaghas ouvrent le feu sur la devanture du café que nous venons de quitter, une salve longue, puis une deuxième, ils ont vidé deux chargeurs chacun, les balles ont tracé une horizontale à un mètre du sol environ, beaucoup de balles ont touché la grille de protection du vitrage, ce qui rend les impacts plus dangereux parce que les balles sont déformées.
Nous nous hâtons de rentrer à la caserne, on aura peut-être besoin de nous pour le don du sang à l’hôpital militaire de Miliana, en entrant nous prévenons le poste de garde de ce qui vient d’arriver, ainsi que les responsables de garde de la BCS à laquelle nous appartenons.
C’est un carnage, on apprendra par la suite qu’il y a plusieurs morts sept ou huit, une quinzaine de blessés graves, notre petit sous-lieutenant de l’infirmerie sera transporté en hélico à Alger, puis au Val de Grâce, raccourci des jambes de 14 et 17 cm ! Le camarade avec qui j’étais en ville m’a souvent demandé comment j’avais pu être aussi déterminé pour sortir de ce guet-apens car il est vrai que nous avons eu beaucoup de chance, mais je ne m’explique toujours pas ce besoin impérieux de sortir du café.
Quelques jours plus tard avait lieu la cérémonie militaire dans la grande cour d’honneur devant la BCS, on avait aligné les cercueils côte à côte, il y eut l’intervention de notre Lieutenant Colonel Demeulenaere commandant le CRIRAC, puis du Chef d’Escadron Pinardel commandant le Groupe d’Instruction, en présence de plusieurs responsables militaires venus d’Alger dont un Général dont je ne me souviens plus du nom, l’harmonie du CRIRAC participait à cette cérémonie militaire, ainsi que la Batterie de la BCS pour la présentation des armes.
Je pense ne pas me tromper en affirmant que c’est lors de cette cérémonie émouvante que le Chef d’Escadron Pinardel rappela un attentat précédent dans une bourgade de l’Algérois, attentat dans lequel le Brigadier Mouchet sacrifia sa vie en se jetant sur une grenade qui venait d’être lancée dans un café sauvant ainsi la vie de nombreux camarades.
L’attentat de Miliana avait été mûrement préparé, et les deux tireurs n’étaient pas seuls, ils ont rapidement remonté la rue Saint Paul en haut de laquelle se trouvait une fontaine au milieu du carrefour, toute une bande de fellaghas étaient là pour protéger leur retraite, ils pouvaient ainsi « arroser » toute la rue Saint Paul depuis leur point de vue. Dans la nuit qui suivit, une vaste opération de bouclage eut lieu sur le Zaccar avec l’action du 23e Rima de Miliana, nous avons alors pu observer depuis nos chambres l’opération en cours, et il y eut beaucoup de fusée éclairantes de lancées cette nuit là. ».
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Le témoignage de cet ancien militaire du CRIRAC m’a d’autant plus bouleversée qu’il m’a décrit, entre autres, avec une précision surprenante … des années après … les deux personnes qui servaient au bar ce soir-là : mon père et Yahya. J’ai pu ainsi, grâce à lui, reconstituer le « puzzle » de cet attentat à l’extérieur et à l’intérieur.
J’aimerais toutefois préciser que si ces évènements ont été certes traumatisants pour la jeune adolescente que j’étais, je ne cultive en moi aucun ressentiment ou colère, et encore moins de haine pour le peuple Algérien. Car il faut préciser ce paradoxe : un peuple se battait pour gagner son indépendance après plus de cent trente années de colonisation française et, dans le même temps, des Algériens travaillaient chez mon père : Korri Mohamed (sur cette photo on le voit dans le bar de mon père mais il travaillait plus souvent avec lui sur les baby-foots et autres flippers). Egalement Yahya, qui servait au bar. Mais il y avait aussi Madame Labidi qui s’occupait de l’entretien de la maison. Et je peux affirmer que ces trois personnes - entre autres - parmi les Algériens que nous connaissions ont été d’un dévouement, d’une gentillesse et d’une loyauté hors du commun compte tenu des circonstances …
J’ai la chance qu’un internaute m’ait permis de retrouver « Korri Mohamed » que je vais avoir le plaisir de revoir en mai prochain. J’aurais tant aimé revoir Yahya. Malheureusement, jusqu’à ce jour, mes recherches ont été vaines. Je ne sais de lui que son prénom et qu’il habitait Palestro où il allait régulièrement pour voir sa famille. J’ai même fait une tentative invraisemblable en écrivant à la Mairie de Palestro et en apportant quelques précisions pour le cas où … par miracle … quelqu’un serait en mesure de le retrouver. A ce jour, je n’ai pas obtenu de réponse. Quant à Madame Labidi … je n’ai aucune piste « concrète ».
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