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Chapitre 1

Nous avons été élevés, mes frères et moi, dans un cadre culturel français, au sein de la moyenne bourgeoisie, et nous sommes issus de parents qui avaient fait l’un et l’autre des études supérieures. Cela, nous l’avions en commun avec les enfants élevés partout dans

des milieux comparables.

Nous avons également connu avec eux, Albert et moi surtout, ces années qui ont suivi la seconde guerre, période de relative prospérité économique mais aussi d’affrontement entre « le monde libre » et le bloc communiste, et marquée par l’émergence du tiers-monde. C’était une époque ignorante des grands phénomènes qui structurent largement notre société, et fondamentalement, malgré la radio, l’avion et la bombe atomique on pourrait dire que c’était encore le monde « d’avant » — avant l’informatique, avant la société de consommation, avant la révolution sexuelle, avant la communication planétaire (téléphones mobiles, réseaux sociaux, Internet, et même télévision), avant les préoccupations climatiques et écologiques, avant la mondialisation.

     Toutefois, dans ce contexte partagé, plusieurs caractéristiques importantes nous distinguaient des garçons de notre âge  en France métropolitaine.

C’est d’abord que, tout en nous sentant français, nous considérions l’Algérie comme notre pays.

C’est ensuite que nous vivions dans une société où cohabitaient deux communautés culturellement distinctes. L’une d’elles, l’européenne (la nôtre), de beaucoup la moins nombreuse, se trouvait pourtant être en position globalement dominante par rapport à l’autre, l’indigène — même si cet état de fait était loin de refléter la complexité et la profondeur des relations entre les communautés.

C’est enfin que la période couverte a été marquée chez nous par le conflit armé qui conduira à l’indépendance de l’Algérie et à l’exode des Européens (et des Israélites qui leur  étaient depuis longtemps assimilés).

Le récit débutera au moment de l’installation de nos parents à Miliana comme médecins, en mai 1946. J’étais âgé d’un an, et Albert naîtra l’année suivante. On croyait alors que pour nous-mêmes et pour notre famille proche, établie elle aussi en Algérie, parfois depuis cinq générations, la vie se poursuivrait sur place très normalement. Toutefois, il n’en fut pas ainsi, et à partir de 1954 les épisodes successifs de la guerre vont rythmer notre existence pendant près de huit ans, et imprimer en nous une trace profonde.

La date choisie pour fin sera 1963 (sauf dans de rares cas où j’ai poursuivi au-delà), soit un an après l’indépendance de l’Algérie et notre départ du pays, de façon à pouvoir dire où et comment se sont établies en France les différentes composantes de notre famille.

 

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