La balade des gens heureux/Par Mohammed Midjou
Contempler le majestueux Zaccar à travers les fenêtres du lycée Ferroukhi en tant qu'élèves, nous laissait peu de concentration sur les cours. Fascinés, nous ne pouvions guère résister à la tentation des randonnées pour respirer l'air frais des montagnes et oxygéner le cerveau embourbé. Recouvert d'un manteau extra blanc en hiver, le portrait expressif est un régal pour les yeux, le sommet côtoyant les nuages planant à basse altitude dans un silence pesant où seule la nature demeure maîtresse des lieux, la faune sauvage, s'aventurant docilement les pattes enfoncées dans la neige en quête de nourriture enfouie sous la poudreuse se faisait souvent piéger par des chasseurs à la mine rusée des renards au moyen de cerceaux à ficelles ou par surprise, la prise du beau lièvre gelé et résigné.
Arrivée la saison de l'éclosion, tout le flanc apparaît telle une aquarelle rayonnante, une palette embellie de couleurs annonçant le printemps où les hirondelles s'adonnèrent gaiement sous nos yeux à une voltige magistrale dans le ciel et en rase campagne, le carré des amandiers de toute magnificence se détachant singulièrement par sa blancheur de la diverse flore verdâtre, le genêt éparse dominant par ses fleurs jaunâtres les buissons enchevêtrés d'ajoncs et de bruyère défiant le socle granitique.
Mythique visite à Sidi Abdelkader gisant en haute montagne, la sortie aérée au mont du Zaccar fut devenue une attraction familiale incontournable ancrée dans nos coutumes, une occasion de se détendre, un moment d'évasion en pleine nature, de fraîcheur pure, loin de toute pollution et de nuisance citadine.
A la veille de chaque bivouac, les grimpeurs potentiels en nombre important de tous les quartiers, munis d'un équipement de scouts, hommes et femmes, filles et garçons, se fixèrent rendez-vous à un horaire de bonne marche pour éviter l'étreinte d'une montée ensoleillée. Aux préparatifs nécessaires et les emplettes bien rangées, était annoncée à l'aube, à partir des trois sapins ou par le cimentière de Béni Mzab, la grimpette sur des chemins sinueux et caillouteux, tracés à l'horizontale en flanc de montagne jusqu'au marabout.
Dans cette merveilleuse ascension, en affirmant leur attachement spirituel au vénéré Sidi Abdelkader, de nombreuses familles en file indienne s'attaquèrent courageusement à l'escalade en aspirant à pleins poumons l'air frais, matinal, mélangé à l'odeur du gibier et l'arôme enivrant des diverses plantes médicinales que recèle la forêt, les bonnes mères de blancheur voilées visibles à des kilomètres plus loin mettant à rude épreuve leurs rotules rhumatisantes. A travers une pause, à mi-chemin du parcours, un immense plaisir se dégagea au détour d'un regard scrutant la vallée au dessous, étendue à l'infini telle un océan de verdure, laissant le promontoire encore endormi que même les cocoricos fusant des hameaux environnants ne pouvaient le retirer de son sommeil profond, la clarté du jour faisant apparaître la silhouette des cimes montagneuses de l'Atlas, les passereaux annonçant à leur tour au petit matin, le réveil de la nature par leur gazouillis. Au delà de la crête, les premiers rayons du soleil sont déjà là, éclairant par leur projection, le mont d'un vif éclat, les essoufflements primaires des personnes âgées perceptibles par la forte respiration, haletantes, les sueurs ruisselantes sur les fronts et les tempes, c'est tout le bien-être momentané d'un sport collectif agrémenté de causettes, de chant, de sourire et une joie immense partagée entre les randonneurs.
A partir des cimes narguant le ciel, la vue est tout simplement imprenable dont aucun artiste naturaliste ou autre chasseur d'émotions ne peut rester indifférent sans inspiration à ce décor paradisiaque. Les hautes plaines, symétriquement agencées en parcelles à géométrie variable de couleurs nuancées, cultivées en céréales, en agrumes, en vignobles, s'étendant sans fin et délimitées par des alignements impeccables de cèdres, la chaîne de montagnes au loin, imposante par le pic de l'Ouarsenis, les rayons du soleil se réfléchissant sur les cours d'eau et les surfaces des barrages, les collines verdoyantes s'étirant en enfilade à l'horizon vers le Tittéri, une carte postale vivante à vous faire combler de bonheur et vous laisser imaginer les plus vives expressions de ce bas monde, une exaltation de l'esprit jusqu'à vous faire purifier le corps du moindre souci.
Un moment de récupération au sein du mausolée pour un recueillement devant la sépulture que l'odeur du café se dégageait déjà du campement des premiers pèlerins. S'amuser cordialement s'imposait comme une règle de conduite, promenade, roulade dans l'herbe, cueillette des plantes comestibles et champignons, jeu de cache-cache dans les buissons, les blagues, les fous rires, les you-yous de joie, s'éclater à l'air pur et libre, le besoin primordial d'un moral avachi d'une vie sclérosée.
A l'ombre des chênes-lièges, les familles se partageaient comme régal à midi, une pitance soigneusement préparée la veille et composée généralement de délices et d'amuses gueules maison accompagnés de pain Koucha et Matloô, servis à même le rocher, improvisé comme table de fortune, avant que certains, plus en forme, continuèrent la marche vers le sommet appelé dans le jargon local (Riacha). Ailleurs, quelques tourtereaux frivoles, d'un âge frêle et de cœur tendre aux regards craintifs et complices, s'isolèrent un instant discrètement sous les abris de branchage épais telles des perdrix éprises au nid douillet pour s'échanger d'intimes propos de teneur sentimentale. Des grappes humaines, éparses ici et là plongées dans la (tchatche), d'autres à l'écoute des radio-cassettes diffusant diverses mélodies dans la douceur printanière, Gigi l'amoroso de Dalida par ci, les Eglantines de Dassin par là, la Maladie de Sardou plus loin fusant dans le ciel et au-delà, du Chaâbi, de l'anglo-saxon quand, certains dansaient dans une ambiance électrique au rythme de la Derbouka et au chant de Haley-Li Sidi-Maâmar d'où l'inévitable fin de comprendre que ce mode de comportement, ce romantisme délirant est la résultante d'un brassage socio-culturel tissé entre l'orient et l'occident tout autour du bassin méditerranéen depuis une histoire profonde. L'une des raisons peut-être obligeant, dans un environnement aussi charmant, les pensionnaires des prestigieux lycées dont Noria, au tempérament associé à la fureur de vivre et emportés par ce courant moderniste et tonifiant, un espace expressif et de liberté, de s'éterniser moralement au firmament des années folles, refusant de revenir à la réalité de 2010 et son corollaire stressant aux remords incessants.
Au détour d'une belle journée, la descente s'annonça moins lassante, un peu plus fluide dont certains, chargés de fardeaux de bois sec pour le pain traditionnel, slalomèrent en twistant dans la pente des quarante marabouts. Ce cycle coutumier s'estompa avec l'arrivée du mauvais temps et reprit chaque fois son cours continuellement à l'entame de la belle saison. Les aventuriers en revanche, ne s'en privèrent nullement d'un spectacle de rêves à la saison des neiges.
Bien que commencée jovialement, notre balade se termine malheureusement sur une note de tristesse par l'agressivité continuelle et impassible de cette belle nature.
En souvenir de notre enfance et adolescence au contact de ce relief pittoresque, ce récit est dédié à tous ceux qui dans un passé lointain ont eu l'occasion de partager les mêmes sensations d'un bonheur ressenti en altitude. Une tranche de vie toute naturelle, de toute beauté et de toute simplicité que les lecteurs sauront apprécier pour le lien natal qu'elle véhicule.
__Avec les compliments de Mohammed Midjou__
Commentaires
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- 1. BOUMAZA, Nadir Le 16/10/2015
Il n'y rien d'autre, là, à découvrir immédiatement que ces textes si beaux et que ces images si bien saisies pour se pénétrer de ce qu'ont été Zaccar, Miliana, ses jardins, ses champs et campagnes parsemées de sacralisés émouvantes et de trésors de nature, de perspective et de pénétrations des lieux par les regards innocents et les envies simples de communion qu'ils généraient chez les enfants que nous fûmes, tour à tour. Ainsi peut être verra t-on et si ce n'est nous, nos successeurs, une renaissance qui montrerait la dimension éternelle de ces lieux. Pourquoi ne pas croire ainsi à leur magie qui triompherait de ce qui se passe depuis 6 décennies lorsque la guerre puis les dérives d'une libération mal gérée et mal comprise? Peut être que les hommes responsables de cela, qui ne le savent même pas et s'en rendent encore moins compte, sont ils tout simplement innocents par leur ignorance naïve et inculte, tant des qualités des lieux, de l'histoire et de la culture que de ce qui permettrait de les régénérer: le sens de l'essentiel, la saveur de l'eau qui ruisselait et s'écoulait, bruissante et translucide, la capacité de se laisser emporter par la pureté de l'air, l'envie de se cacher dans les roseaux ou d'ouvrir une "rabtat" afin de laisser s'écouler l'eau dans une autre rigole qui allait abreuver un figuier ou un grenadier ou encore d'être capable de capter les odeurs évanescentes d'un jasminier proche, de thérébinthe ou de quelque lavande singulière au climat de ces terres. Oui peut être qu'un jour, cette terrasse qui domine la vallée du Chélif faisant face au pays des cèdres du grand Ouarsenis, terrasse dont les lieux divers aussi divers que chantants - anassers, zougala, korkah, talaouchiba, 'aîn berkouk, et autres demandent parfois à se faire oublier, refleurira t-elle pour remettre au jour, en une rapsodie de couleurs, de biens et d'usages, ce qui depuis la préhistoire, a singularisé magiquement des lieux aussi communs qu'exceptionnels. L'on évoquera alors notre époque comme temps d'une folie dont les humains auront eu besoin pour mieux retrouver l'essentiel d'une existence humaine en symbiose avec la luminosité des lieux. -
- 2. Zoum Le 26/07/2014
MERCI MOHAMED MIDJOU POUR CE BEAU TEXTE QUI M A FAIT REVIVRE DE
LOINTAINS SOUVENIRS DE MA TENDRE ENFANCE ET LES BELLES
RANDONNEES QUE NOUS FAISIONS ENSEMBLE AVEC DES AMIS ET Où NOUS NOUS EVADIONS EN SILLONNANT A NOTRE GRE LES CHEMINS EN DIRECTION D " EL GOUNTASS".DES LE MATIN PAR NOS GRANDS CHEMINS QUI TRAVERSAIENT CHAMPS ET VERGERS ON PARTAIT CLAIR ET LEGER LE CORPS ENVELOPPE DE VENT ET DE LUMIERE , ON ALLAIT ON NE SAIT Où
ON ALLAIT ON ETAIT HEUREUX ..........
IL FAUT MARCHER POUR APPRENDRE A AIMER COMME DIT SI BIEN L ADAGE ............
POURQUOI NE PAS REFLECHIR A LA CREATION DE L ASSOCIATION DES RANDONNEURS DU ZACCAR ?
mourad
amicalement , -
- 3. Chantal Le 25/07/2014
Bonsoir Med,
Quand je lis cette belle et émouvante description du Mont Zaccar dont j’ai été si proche, physiquement, pendant huit ans, je n’ai qu’un seul regret, celui de ne jamais avoir pu m’y balader. Il est vrai que la période de 1954 à 1962 … ne s’y prêtait guère mais … il n’est jamais trop tard pour bien faire ! lol !
Bonne soirée. -
- 4. fb Le 10/07/2013
Bonsoir M. Midjou, bonsoir à tous,
Ce beau texte remonte à 3 ans déjà semble-t-il! Je le disais dans un de mes commentaires, chaque click est une machine à remonter le temps, à revisiter des pans entiers d'une mémoire enfouie... S''y plonger à nouveau, s'y perdre avec délice, et revivre pleinement ces moments exceptionnels. Il y a peu de temps, j'ai lu aussi le texte de Mohamed Benabdellah qui racontait une de ces virées au Zaccar. les deux textes se complètent merveilleusement bien, enrichissant et stimulant nos souvenirs propres parfois si vacillants. Vous avez dédié votre récit à tous ceux chez qui il faisait écho. Je vous remercie de votre geste que j'accueille avec grand plaisir. -
- 5. Fatima sabky Le 05/10/2012
Bonjour !
Je suis marocaine, je l'ai toujours été... Dans notre Douar ( nous sommes des "chorfas" idrissides ) , sur le moyen atlas , J'ai toujours entendu dire, que nous sommes originaires de Miliani ... Y a même quelques parents, proches ou lointains , qui ont comme nom de famille milliani....Miliana ! Ca m'a toujours fait rêver...Et aujourd'hui , grâce à google et à tous ceux qui ont écrit si admirablement , tellement de belles choses sur cette si jolie ville dont j'ignorais tout , j'ai envie de la visiter...Une balade des gens heureux quoi...Inch-allah ! Mes amitiés à tous les Milianis !
heures_et_cas@hotmail.com -
- 6. Med Midjou Le 08/06/2010
Bonjour les amis
Face à la désolation, point de paroles,ça nous fait de la peine de voir le gite de Sidi Aek détruit, séquelles de la décennie noire. Dire que ces maisonnettes abritaient autrefois des visiteurs de jour comme de nuit dans la paix totale, seuls dans la nature et le créateur comme témoin. Le spectacle est d'autant plus ahurissant lorsque le djebel se met volontairement à la coupe sans scrupules par le charbonnage intense et les feux. Pour les nostalgiques et leurs amis, nous vous invitons à visiter le blog de: Sugabaris.Skyrock.com/ A bientôt -
- 7. CHENGAB KHALED Le 03/06/2010
CHER AMI,IL RESSORT UNE COMBINAISON DES DEUX,UN MELANGE NATURELLEMENT ÉQUILIBRÉ FAIT DE JOIE ET DE DOUCE AMERTUME,CELLE QUI ILLUMINE LE VISAGE D'UN SOURIRE MALGRÉ LES REGRETS QU'ELLE INSPIRE.
C'EST A PARTIR DE LA GÉNÉRATION COMME LA NOTRE,LES QUINQUAS QUE LE DEVOIR DE MÉMOIRE SE FAIT PRESSANT POUR ÊTRE COUCHÉ SUR PAPIER Á TRAVERS DES TEMOIGNAGES DES SOUVENIRS ET LES RECOUPEMENTS QUI SE FERONT D'EUX MÊME.
NOS AINÉS VEHICULENT UNE TRADITION DE RECITS ORAUX DE L'HISTOIRE DE LA VILLE DANS SES COMPORTEMENTS QUOTIDIENS,RICHES EN EVENEMENTS HEUREUX ET D'AUTRES QUI LE SONT MOINS QUE L'ON RACONTE EN SIROTANT UN BON THÉ.A CHAQUE FOIS QU'UN DES ANCIENS PART REJOINDRE SON CRÉATEUR,C'EST UN PAN DE L'HISTOIRE DE LA VILLE QUI DISPARAIT AVEC,D'OU LA NECESSITÉ DE FAIRE REVIVRE ET DE TRANSMETTRE A TRAVRES NOS TEMOIGNAGES CE QUE FÛT LE BONHEUR DE VIVRE DANS CETTE VILLE.CE N'EST QUE LE POINT DE VUE DE QUELQU'UN TRÉS LONGTEMEPS EN RUPTURE DE BAN ET EN MAL DE SA VILLE.
ON NE REMERCIERA JAMAIS ASSEZ NORIA D'AVOIR EU L'INTELLIGENCE DE CREER CE SÎTE.
CHENGAB KHALED -
- 8. Med Midjou Le 31/05/2010
Cher ami khaled
Je ne sais si c'est de la joie qui se dégage de ce récit ou de l'amertume le fait d'évoquer de tels souvenirs et croyez moi que cela s'est fait avec des larmes au passage de certaines lignes. Vous me voyez comblé tout de même de cette salve d'honneur que vous manifestez au vu de ce contenu qui vous aura permis un plongeon dans votre jeunesse, un moment de plein bonheur que vous avez hâte de le redécouvrir, hélas. C'est un devoir de mémoire en effet auquel nous sommes soumis conscienceusement de manière à enrichir le répertoire conçu par la respectable Noria à qui le mérite des remerciements lui va de droit, elle qui a su intercepter le message juste à temps avant qu'il n'atterrisse dans un blog. Encore une fois, nous demeurons reconnaissants aux efforts qu'elle entreprend avec ses collègues en accordant autant d'intérêt à la réussite de ce forum. Cordialement -
- 9. CHENGAB KHALED Le 30/05/2010
MERCI MIDJOU POUR CE BEAU RAPPEL DES SOUVENIRS D'UNE BELLE ETAPE DE NOTRE EXISTENCE.TU AS TROUVÉ LES MOTS JUSTES POUR MIEUX REPLANTER LE DÉCOR ET NOUS BAIGNER DANS L'AMBIANCE DE L'ÉPOQUE.LES NOSTALGIQUES QUE NOUS SOMMES SE RETROUVERONT TOUS DANS CETTE PALETTE DE COULEURS ET PAYSAGE, DANS CES SENTEURS.J'ENTENDS ENCORE RESONNER DANS MES OREILLES CETTE BELLE MUSIQUE ET CES CHANSONS SORTIES COMME PAR MAGIE DES POSTES CASSETTES DE L'ÉPOQUE OU DES TOURNE- DISQUES A PILES POUR LES SORTIES,ET DONT ON SE FAISAIT PRESQUE UNE OBLIGATION DE RAPIDEMENT LES APPRENDRE POUR POUVOIR LES FREDONNER,SANS OUBLIER LA CELEBRE EMISSION DE LA CHAINE 3" A CHACUN SA CHANSON" ET LE NOM D'UN MILIANAIS QUI REVENAIT EN BOUCLE EU EGARD AU NOMBRE DE CHANSONS QUI LUI ETAIENT DÉDIÉES PAR LA GENTE FEMMININE PRINCIPALEMENT D'ALGER JUSQU'A CE QUE LE POT AUX ROSES SOIT DECOUVERT.MERCI DE NOUS AVOIR FAIT REDECOUVRIR LES PLAISIRS D'ANTAN,EN SOMME CE QUE FÛT LA VIE MILIANAISE POUR LES ADOLESCENTS LYCÉENS QU'ON ETAIT,LE BONHEUR CONJUGUÉ AU PLAISIRS SIMPLES.
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