Aïn El Djemâa, Primauté du savoir sur flânerie au grand air/Par Med Midjou
Les rares témoins d’une époque révolue vous affirmeront non sans pointe nostalgique, leur amour à cet endroit où flâneurs dandinants y trouvèrent consolation par la simple présence du mont verdoyant d’en face en foulant le pavé au gré des douceurs des quatre saisons. La placette publique attenante au lycée Ferroukhi appelée Ain El Djemaâ ou communément, El Blança n’est que le prolongement de la grande et longue place longeant le boulevard de la république depuis l’entrée de la ville, bordée de part et d’autre de haies de platanes agrémentée dans son extrémité ouest, d’une fontaine-abreuvoir en pierre taillée de toute beauté pour le bien des humains et autres équidés compagnons fidèles de charge et de course. Une animation particulière caractérisait le lieu aux alentours de la charmante villa Malbert, le boulodrome au breuvage doré, le canal ruisselant aux abords occupés par des artisans de fortune, le souk aux vives clameurs commerciales flagorneuses aujourd’hui dortoir, et les gargotes aux recettes indigènes épicées attirant par gourmandise des gens au statut modeste. Hélas, le seul souvenir de cet emplacement actif orné d’une sublime sculpture demeure, l’inspiration en noir et blanc du regretté artiste Zazak, une image reprise par feu Antri El Foul dans sa précieuse œuvre littéraire (Miliana, la mémoire) paix à leur âme.
Préservée miraculeusement après une longue éclipse, reconstituée de quelques éléments récupérés, cette fontaine d’usage pratique, git à présent et pour le plaisir visuel des amateurs de bien être, en devanture du musée faisant office de source rafraichissante en y ajoutant par sa teinte et sa masse rocheuse, un décor matériel romain au patrimoine séculaire que l’Émir Abdelkader en fit son quartier général.
Nous nous rappelons des récréations enfantines arrosées après les disputes de matchs inter-quartiers, mais se souvenir de la porte voutée délimitant le rural de la cité urbaine, on en doute fort qu’il subsiste encore et en l’absence d’archives historiques, un sujet d’un âge avancé en mesure de nous décrire l’état physique et de nous dévoiler les secrets enfouis aux antipodes des civilisations. En appel à leur mémoire, il défile toutefois dans l‘esprit de certains nonagénaires, l’image grouillante des jours de marché, le pèlerinage du mythique Rakb, les mouvements de foule, férus de l’énergique fantasia au plateau surplombant le stade, quelques chevaux, hennissant, haletant, le museau trempé, étanchant leur soif goulument comme l’illustre la plume de l’artiste, du coup, les cavaliers enturbannés à leur tour, ne se firent pas prier pour s’apaiser en s’aspergeant d’une flotte bénite du grand Zaccar. Autres campagnards visiteurs hebdomadaires échangeurs de provisions diverses, attachèrent leur monture, muselières pendantes auprès du seul pan mural, dernier vestige d’une pierraille impressionnante. Que de regrets depuis la transformation de la surface en installant de toute urgence durant les années soixante, des salles préfabriquées pour faire face à un flux important de nouveaux lycéens. Une surexploitation alors qui dura une quarantaine d’années jusqu’à leur dégradation totale avant qu’il n’émerge du fond de cette assiette, un édifice formant par son style architectural semblable au bloc central mais de moindre dextérité technique, l’extension du prestigieux Lycée Mustapha Ferroukhi. Un empiètement de l’espace piétonnier loin d’être judicieux, sans consultation de la société civile aux diverses sensibilités et opinions dont le signal fort à l’adresse des concernés du fait de vétusté des lieux ternissant l’honneur du chahid éveilla un jour, la conscience de qui de droit pour décider d’une nouvelle réalisation formalisant alors le rejet définitif quant à rendre au site, sa vocation initiale d’espace publique.
La structure imposante, offrant plus de capacités pédagogiques à la forte sollicitation du cycle secondaire eu égard à la qualité de l’enseignement dispensé, est synonyme, chose que l’on n’ose toujours pas admettre, d’exigüité urbaine où une seule voie encombrée constamment desserve l’ouest de la ville alors qu’il suffisait tout juste de se servir de l’annexe sud pour en disposer convenablement d’un autre établissement de secours pourvu de toutes les commodités. Le changement subi par un développement anarchique de l’environnement, des kiosques champignons plantés à tout bout de champ, une surface abritant dans sa totalité autrefois tant de foires, de cirques et de distractions foraines n’accueille plus que des manèges de petit gabarit. L’activité assez volumineuse à proximité de ce bastion du savoir se prévale de nos jours par l’intense circulation et un parc informel de clandos de plus en plus nombreux, des gens en majorité chômeurs agglutinés par grappes, plus par curiosité que par utilité, toisant hagards les pigeons voltigeurs, d’autres en quête de bricoles, gravitant tout au tour d’un café situé à l’angle, un coin repère réputé désormais par l’appellation de Qahouet El Commandant.
Attablé pour un moment de ressourcement, un café mousseux à l’arôme absente, la cigarette fumante défiant l’oxygène, la pensée noyée dans le lointain passé, la bâtisse neuve obstruant la vue du lever du jour, les étudiants pensifs adossés au mur, sans entrain ni assurance du lendemain attendant passivement l’embarquement à destination de la cité des sciences Boutan, un croisement effréné de personnes pressées à regagner le boulot et l’école, des klaxons inutiles pour se faire voir que d’avertir par précaution les passants, une effervescence cacophonique conjuguée au rythme fiévreux de la vie actuelle qui ne peut malheureusement rendre au Quartier son charme d’antan , aux riverains, le bonheur d’il y a longtemps, aux âmes sensibles l’enthousiasme de leurs vifs Printemps.
Commentaires
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- 1. Meskellil Le 02/09/2018
Bonjour à tous,
Cher Mohamed Midjou bonjour,
Tout d’abord pardonnez cette petite familiarité suscitée par votre texte qui restitue la Miliana d’antan avec ce foisonnement de petits détails si authentiques qu’une magnifique et riche palette d’émotions afflue sans que l'on puisse rien y faire. Oui, j’ai connu cette Miliana ou du moins une grande partie de ce que vous évoquez dans votre style brillant, sensible, juste, profond et si émouvant. J'ai connu cette atmosphère habituellement paisible et sereine, mais très effervescente les jours de marché, de foire, ces manèges qui résonnent encore de nos rires joyeux, ces parfums sucrés des fêtes foraines, ces cœurs battant d’effroi devant les prouesses des funambules sous le chapiteau du cirque Amar, le clapotis de l’eau bien sûr un peu partout dans la ville, cet air vivifiant, agréable chahutant les platanes frémissants de bien-être… on pourrait à l’infini évoquer cette douceur de vivre, cette simplicité, cette humilité, ce respect des anciens qui se satisfaisaient du peu qu’ils avaient. On éprouve ce sentiment oscillant sans cesse et douloureusement entre l’avant, le maintenant, et l'on se demande comment on a pu en arriver au point que l'on connait? Oui, comment même si on connait les réponses, nos cœurs, nos tripes ne l'acceptent pas. Miliana est plus sage et a cette grande résilience qui fait que malgré les affronts multiples subis, et bien que devenue l’ombre d’elle-même, elle continue à charmer ses visiteurs, ses admirateurs, peut-être en raison de son aura, de passé si prestigieux ? Miliana, ce lieu paisible et ressourçant se trouve lovée tout au fond de nos cœurs, dans les plis de nos mémoires déracinées par tant d'inconséquences humaines. Merci beaucoup Mohamed de nous offrir des parcelles de votre précieuse mémoire, ces images et ces sons sont tels une source fraîche et limpide à laquelle on se désaltère par ces temps de sècheresses et d’aridités multiples. J’ai lu ce texte avec beaucoup, beaucoup d’émotions et je vous en remercie à nouveau infiniment. -
- 2. semmkam Le 24/02/2013
Mon ami Midjou,
apparemment la fontaine qui se trouve actuellement à coté du musée de l'Emir n'est pas celle qu'on appelait Ain el djemaa. Quelqu'un pourait-il nous renseigner sur ce qu'elle est devenue? et d’où vient celle qui est à coté du musée? Merci d'avance à qui nous éclairera.
Kamel Semmar -
- 3. fazin16 Le 24/07/2012
à mr Midjou un grand bravo pour vos superbes ecrits ,tres instructifs.En effet on en apprend beaucoup et ça nous cultive enormement D' autre part, votre français est excellent .Il ferait rougir de jalousie bien des natifs de France.ce serait toujours un reel plaisir que de vous lire.Portez vous bien et sa7a ftourkoum -
- 4. med midjou Le 17/04/2012
Bsr Mr Kheddaoui- Cela m'étonne que vous ignorez l'appellation première de l'actuel café Essalem à l'angle de la rue Bentifour et celle de la mosquée portant le même nom. A son ouverture, le seul nom qui nous parvint d'une manière informelle bien sûr, c'est celui de Qahouet El Commandant, vous pourriez le confirmer auprès des anciens. Merci -
- 5. med midjou Le 17/04/2012
Bsr Mr K.Semmar- je ne saurai vous remercier pour tous ces honneurs et suis très ravi que cela vous intéresse. La culture en général est notre identité, ns ns devons de saisir la moindre occasion pour ns enrichir et confirmer les faits, les évenements par comparaison des infos récoltées. Feu El Antri n'a trouvé de mieux que le crayon magique du defunt Zazak pour immortaliser l'ouvrage. Nous essaierons d'approfondir les choses lors du regroupement inchallah. Merci -
- 6. semmkam Le 17/04/2012
Mr MIDJOU
vos écrits sont très appréciés car instructifs, enrichissants, agréables et surtout ils sont dans un français qui commence à se faire assez rare. La gravure de Ain Djemâa est aussi un document intéressant, et a retenu mon attention.On voit à côtéde Ain Djemâa une porte ancienne.C'est la porte Boutane, qui a été détruite par les français avant Bab el Blad (bab zaccar). J'ai une ancienne photo de Bab Boutane, mais pas comme celle dessinée par Mr Zazac Allah yerhamou. J'aimerai bien avoir une gravure de cette porte dans un format plus grand.
Fraternellement,
semmar kamel, semmkam@yahoo.fr
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- 7. kheddaoui Le 17/04/2012
cher ami dans ton dernier paragraphe tu veux parler de qahouet el Djouden 'l'adhudant) car il n'existe pas de qahoue el commandant
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