Miliana: Nos ancêtres les mineurs/ Par Latifa Abada - Huffpost Algeria
Perchée au sommet du Zaccar, la ville de Miliana, située à 113 kilomètres du sud-ouest d’Alger, fait partie de ces villes dont le passé est omniprésent. Se balader dans ses ruelles bordées de platanes, révèle à chaque halte un pan de son histoire.
Mais ce qui y frappe surtout est de l’ordre de l’invisible : la ville est hantée par le souvenir de ses mineurs. Les mines du Zaccar ont fermé depuis 45 ans mais leur mémoire est encore vive parmi les Milianais qui souhaitent voir un jour - bientôt ils espèrent - ouvrir le musée qui rendrait hommage à leurs pères, à leurs grands-pères, à leurs ancêtres les mineurs.
L’histoire de ces carrières à ciel ouvert est intimement liée à celle des familles de la région: lorsqu’elles étaient à l’apogée de leur fonctionnement, les mines employaient le tiers de la population de toute la région de Miliana. Ce n’est donc pas étonnant que le triste souvenir des mineurs soit aujourd’hui encore palpable dans l’esprit des Milianais.
Aujourd’hui, le massif rocheux ne paie pas de mine, il ne garde de son passé que cette couleur rougeâtre témoin de la présence du fer. Abandonnée à son sort de carrière défraichie, celle-ci offrait pourtant du temps de la colonisation française un minerai d’une rare qualité. D’ailleurs, les habitants de Miliana n’oublieront pas de vous dire et redire que “leur fer” a servi à la construction de la Tour Eiffel.
Mohamed Landjerit est, à 70 ans, le digne descendant d’une de ces familles, fils et petit-fils de mineurs. Il se rend de temps à autre dans ces lieux emblématiques pour lui. La plus proche carrière est seulement à quelques kilomètres de la ville. En arpentant le chemin sinueux qui mène vers la montagne rougeâtre, Mohamed confie qu’à chaque fois les souvenir de son enfance lui reviennent en cascades.
Il voit encore son père et ses compagnons d’infortune presser le pas pour rejoindre les mines suite à l’appel de la sirène. Chacun tenant sa lampe à huile pour éclairer les sombres matins d’hiver, la rude ascension de la montagne était pourtant semblable à “un défilé de lucioles” comme il le décrit si joliment.
" Lorsque mon père quittait la maison tôt le matin j’accourais à la fenêtre, notre maison se trouvait au pied du Zaccar, et je pouvais donc admirer ce spectacle à la fois triste et merveilleux. Même très jeune, j’avais peur de ne pas voir mon père revenir de la mine, mais mon angoisse se dissipait à chaque fois devant le panorama où scintillaient les mèches des lampes comme autant des lucioles en mouvement" évoque Mohamed nostalgique et ému.
Le père de Mohamed a travaillé la mine pendant 30 ans, comme son père avant lui. Si la mine l’a usé au fil des années, elle lui a épargné une mort tragique. Une chance que d’autres n’ont pas eu, confie Mohamed.
Des moyens rudimentaires
Arrivés au pied de la montagne, l’on se retrouve devant les entrées des tunnel qui mènent au cœur des mines. Dès que l’on franchit la bouche de la montagne, qui mesure près de deux mètres de diamètre, c’est le noir total. Mohamed précise que les mines du Zaccar ne ressemblaient pas aux super structures gigantesques équipées de tours d’extraction et toute l’artillerie des mines classiques.
Les mineurs travaillaient dans des conditions difficiles et avec des moyens rudimentaires. Ils escaladaient la paroi rocheuse accrochée à des cordons et descendaient au fond des mines à l’aide d’une échelle.
Chaque ouvrier avait un rôle dans la mine. Les débutants qui d’ailleurs ne dépassaient pas les 12ans d’âge, travaillaient en tant que "mousses", c'est-à-dire comme porteurs d’eau et d’outils ou pousseurs de wagonnets. Les plus chevronnés étaient poseurs de mines. Et Il y avait ceux qui travaillaient dans les ateliers de réparation.
À l’intérieur des mines, dans le puits situé à une dizaine de mètres, le travail s’organisait à la chaine. Certains déballaient les tas de blocs grisâtres, des manœuvres chargeaient le minerai sur les wagonnets pour le faire ensuite basculer dans une fosse sans fond ouvrant sur la montagne. Enfin le minerai dévalait la pente, pour être recueilli sur des terrasses en contrebas. Une fois à l’extérieur le minerai était acheminé au port d’Alger en direction de la France.
Mais le périple du mineur est loin d’être terminé, une fois le minerai sorti. Il devait rejoindre la sortie en empruntant un chemin plein d’embuches. "On en revient à l’histoire de la lampe du mineur. Pour sortir de la mine sa vie dépendait de sa lampe. Si par malheur un courant d’air l’éteignait, il serait plongé dans le noir et l’incertitude de pouvoir retrouver son chemin”. Certains mineurs sont encore aujourd’hui célèbres dans la mémoire collective des Milianais à cause de leur sens de l’orientation, ils auraient parcouru des kilomètres dans le noir et réussi à sortir.
La rude journée du mineur se terminait au son de la sirène, surnommé par les habitants "Boq Lermiz". "Boq" traduisant intégralement le mot arabe "بوق " qui signifie le son de la trompette et "Lermiz" qui veut simplement dire la remise où les mineurs déposent leurs matériels.
Aujourd’hui que reste-t-il des mines ?
Les mines ont été fermées par le président Houari Boumediene en 1975. "Cela n’a pas été brutal puisque la mine ne recrutait plus depuis plusieurs années déjà. La mine n’était plus rentable puisque le minerai était de faible teneur et les grandes richesses étaient dissoutes" explique Mohamed. Plus de 500 mineurs allaient se retrouver au chômage après la fermeture des mines.
Si les Milianais s’étaient préparé à la fermeture de la Mine, un incident a tout de même marqué leur esprit. Toutes les familles de mineurs se souviennent du démantèlement de ce qui constituait la mine et sa vente au quintal à des pays étrangers. Mohamed se souvient que la population s’y opposa et y vit une atteinte au patrimoine de la cité.
"Je me souviens que je m’étais rendu sur les mines dans l’espoir de retrouver quelques pièces en souvenir de mon père. Beaucoup de ces outils ont été jetés au fond d’un ravin au niveau de la mine. Pour ce qui est des wagons, certains étaient restés au fond de la mine. J’ai réussi difficilement à récupérer un de ces wagons qui se trouve actuellement chez moi" évoque Mohamed dans un souvenir victorieux.
Mohamed qui avait été enseignant de sports est aujourd’hui à la retraite, une retraite très dynamique en réalité qu’il consacre à sa ville à travers une association qu’il anime avec d’autres Milianais, l’association El Manara. C’est bien entendu a travers cette association que les enfants de mineurs de la ville plaident auprès des autorités locales et nationales pour l’ouverture d’un musée à la mémoire des mineurs.
"Nous voulons que l’identité de Miliana soit publiquement liée à l’histoire de ces mines. Ouvrir un musée qui raconte l’histoire de ces hommes c’est rendre hommage a tous ici, toutes les familles ici ont un parent qui a creusé dans ces montagnes pour extraire le fer" ajoute Mohamed.
Ces mineurs ont également joué un rôle important dans la révolution. Certains ont été les meilleurs artificiers de la guerre, aime a rappeler Mohamed qui aimerait un jour voir “des circuits touristiques mener aux mines du Zaccar, avec une reconstitution du site et du travail de mineur”.
En attendant, que reste-t-il de ces mines, si ce n’est les histoires transmises de père en fils? Mohamed conserve précieusement chez lui une lampe et un wagonnet, en souvenir de son père et de ses frères les mineurs. Il craint qu’un jour la transmission de l’histoire aux enfants soit rompue. Mais un élan d’espoir l’emporte en lui, celui de voir le rêve de la ville se réaliser et la mémoire des mineurs de Miliana à jamais protégée de l’oubli.
Commentaires
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- 1. Belfedhal Abderrahmane Le 07/05/2021
BONSOIR A TOUTES ET A TOUS
Un texte émouvant à la fois nostalgique et un cri au retour des souvenirs d'une vie éffacée qui s'accroche encore aux reflets d'une lampe a l huile et d un wagonnet qui temoignent avec la force des vents toute l'histoire du zaccar. Un texte émouvant qui plaide pour une remontée en surface et respirer le grand air des musées qui renaissent des cendres que les gueules noires avaient jalousement entretenues pour que les aromes des temps puissent un jour en faire une legende vivante et par ricochet toute la fierte de miliana et ses generations qui se succedent. A tous les amis du site, j'ai le plairir de vous faire part du present hommage rendu aux mineurs qui risquaient a tout moment leur vie pour ecrire une page fulgurente tintée de bravoure et de vaillance. Les traces du zaccar souflent encore l'épopée des gloires trempées dans la sueur et la chaleur insoutenable des fonds.,Depuis ces arenes ancestrales, miliana se rechauffait dans ses longues nuits hivernales dans l'attente de ses gladiateurs. Miliana n'a pas oublié, ses enfants non plus. Jadis sur les bancs de la vieille école on avait appris et connu la splendeur du jumelage entre le noir et le blanc dans l'une des plus belles illustrations du travail à savoir que les mains noires mangent le pain blanc.
Hommage aux Mineurs de fond
D’une grande famille tu étais l’aîné, et à quatorze ans, il a fallu y aller
Dans ces galeries, prêtes à s’écrouler, par manque de temps pour les consolider
A quarante ans tes poumons étaient brûlés, la silicose avait fait son effet
Mineur, nous sommes fils de mineur, Père, nous sommes fiers de toi
Accepte ces mots, en ton honneur, toi qui as connu le noir et le froid, le sort des gueules noires
Le soleil ne s’était pas encore levé, que déjà dans les puits tu redescendais
Plongeant dans le cœur de l’obscurité avec ton seul casque pour t’éclairer
Sur la roche glacée il te fallait ramper, le corps lacéré, sans mot dire, tu piochais
Mineur, nous sommes fils de mineur, Père, nous sommes fiers de toi
Accepte ces mots, en ton honneur, toi qui as connu le noir et le froid, les peines et les joies
Quand du fond de la mine surgissait la rumeur, que le feu du grisou avait encore frappé
Accouraient les femmes, le visage en pleurs, priant que leur mari en ressortent épargnés
Pourtant si le charbon t’a brisé le cœur, dans les rudes hivers sa chaleur t’a sauvé
Au Nord ou en Aveyron on te rend hommage, les musées de la mine t’y sont dédiés
Justes remerciements pour ton courage, car tes luttes acharnées ont tout changé
Dans les vitrines s’étalent tes témoignages, derniers souvenirs d’une vie effacée.
Mineur, nous sommes fils de mineur, Père, nous sommes fiers de toi
Accepte ces mots, en ton honneur, toi qui as connu le noir et le froid, Ici-bas on pense à toi
Sergio -
- 2. Chantal Le 06/05/2021
Bonjour à toutes et à tous !
Ce retour en arrière sur la dure vie des mineurs algériens me bouleverse toujours autant et m'attriste profondément. Ce que j'ai retenu de mon enfance et de mon adolescence en Algérie c'est, notamment, l'injustice envers le peuple algérien. C'est la raison pour laquelle je la porte toujours en moi et que je me révolte toujours autant lorsque j'entends les médias évoquer des injustices, quelles qu'elles soient, à travers le monde. En ce qui me concerne, cela ne me quittera jamais car je suis totalement convaincue que TOUS les êtres humains "devraient" être égaux, quelles que soient leur religion, leur culture, leur couleur de peau, et qu'ils devraient TOUS être respectés dans leur différence et leur dignité.
Oscar Wilde disait : "Nous sommes tous dans le caniveau mais certains d'entre nous regardent les étoiles"… voilà où se trouve - pour moi - la seule différence entre les êtres humains …
Bonne fin de journée ! -
- 3. Alfred Le 01/05/2018
Tout un passé crie à l'oreille !! -
- 4. Djilali Deghrar Le 19/09/2017
Latifa Abada, bonsoir
Ah ces mineurs, ces grottes , les histoires interminables, merci de nous avoir évoqué ce passé plein d'amertume et d'espoir, il relate notre passé, notre existence, la souffrance de nos parents mais aussi leurs bons moments.
Djilali merci encore Latifa
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