Miliana, une sainte nécropole/ Par Mohammed MIDJOU
Le sujet d’une nature assez complexe éveille en nous un flot de questionnements sur les différentes conquêtes historiques et alternatives depuis l’antiquité. Ainsi et depuis sa lointaine édification s’élevant à trois millénaires selon les historiens, des dynasties s’entrechoquèrent à la force des glaives, d’épées aiguisées, de sabres tranchants et de l’armement contemporain pour bâtir leur empire et imposer leur diktat en haut des falaises et escarpements dominant une vaste vallée prometteuse en riches cultures sans que le règne d’une de toutes ces puissances ne s’éternise dans le temps. Ce mouvement important de foules guerrières de tous les bords, guère fortuit, se traduit non sans risques, par un idéal recherché, une dolce vita au milieu d’une forteresse enviable naturellement par sa densité florale, botanique et ruisselante où la stabilité des différentes peuplades favorisèrent localement le métissage et l’ancrage de diverses traditions socio-culturelles.
Contrairement à d’autres villes ne disposant que de deux ou de trois lieux d’enfouissement, vous seriez nombreux à remarquer une curieuse disposition d’un nombre de cimetières tout autour de la ville qui à partir du noyau central (la zaouïa de Sidi Ahmed Benyoucef) mis à part l’endroit réservé aux disciples ou proches du serviteur de Dieu, des fidèles prièrent parfois dans l’exigüité sur des tombes faïencées à raz du sol. Appelées aussi les Ders des terres, elles sont approximativement recensées aux quatre points cardinaux et aux quatre autres médians dont l’ordre des aiguilles d’une montre nous donne la situation suivante :
- Plein Nord : l’ancien cimetière du stade et champ de tir (Romain et Turc ?)
- Nord- Est : celui des Mozabites
- Aux Belles Sources (Est) : celui des Juifs
- Est : celui du Charg ou Hammama, Sidi Bouziane, Sidi Braham 1 et 2
- Sud-Est : Sidi Bouziane des Annassers Sud
- Sud : Sidi Sbaâ
- Sud-Ouest : Sidi Boulefred
- Sud-Ouest : Koudiet El Ghorab (Ghrib)
- Ouest des remparts urbains : le cimetière chrétien
- Ouest : Sidi Bou Msabih (Ain El Kerma)
Et quelques tombes éparpillées ça et là au gré des croyances autour des Marabouts ou des circonstances comme les Trois Chahids de Hay Chouhada, enterrés au même lieu de leur exécution, d’autres signalées tout près de la villa des arcades aux belles sources (Sidi Sebti). Chacun de ces cimetières renvoie à la localisation périphérique d’une densité de population, un quartier, un arch, une tribu, le cas échéant, une coutume familiale où leurs morts gisent à proximité de leur habitation et qui par le temps bénéficièrent d’une extension, facteur démographique aidant.
Évoquant de plus la période romaine, les historiens soulignent par ailleurs l’inhumation des proches de Pompée (fils et petit-fils) dans l’enceinte de Zuccabar, inscription relevée sur des colonnes servant de mémorial aux morts. Pendant toute la durée de cet empire de gladiateurs sans scrupules s’entretuant en spectacle ou livrant des batailles sanglantes, ne devant leur vie ou survie qu’à la force de leur courage et de leurs biceps, sous lesquels s’écroulèrent des esclaves soumis, autres miséreux de la mal-vie, les morts trainaient par dizaine et cependant, le lieu exact demeure méconnu malgré les traditions romaines vu la manière impressionnante et gigantesque à concevoir leur propre tombeau (selon certaines sources, des traces furent relevées au nord, au pied du Zaccar). Nous déplorons de nos jours le phénomène qui a trait au vandalisme et la profanation des tombes sans aucun respect aux morts laissant apparaître des ossements de leur locataire, le matériau retiré (le marbre principalement) atterrissant le plus souvent dans de quelconques habitations quand d’autres plaques fragmentées en mille morceaux garnissent le sol devant les promeneurs dans la consternation muette et regrettable.
Commentaires
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- 1. Miliani2Keur Le 12/10/2014
Midjou merci pour le texte, il est juste de rappeler que c'est un sujet d'une "Nature complexe".
C'est une occasion du réexamen (individuel comme social) de notre rapport a la mort, de notre "durabilité"!
La "profanation" des tombes; symbolique par sa désaffection (on ne va plus aux tombes aussi souvent, ni aussi rituellement), ou par vandalisme (condamnable), n'est t'elle pas une émancipation !? la reconsidération de la mort en elle-méme, par un regain de religiosité sociale, et ou toute la charge est dans l'acte d'accompagnement de la dépouille, ne va t'elle pas confusément mais justement dans ce sens ?!
Au dela du respect dû au cimetiére, le culte du cimetiére n'est t'il pas un "reste" du culte du mort, dans toute sa dégenerescence !
Le développement des tombes en épicentre du "Sidi", autant que la mutiplication des "Sidi"s ont plus tard eu des résonnances strictement matérielles, la mort signifie sublimement la "Péremption"...méme celle des "Sidi"s.
Le prophéte Mohammed dit "n'Evoquéz vos défunts qu'en leur meilleur..." hommage a la vie!
Durant un séjour a Tamanrasset, j'ai découvert que les gens ne marquaient ni n'inscrivaient rien sur les tombes des leurs, qu'ils retrouvaient, c'est touchant de découvrir que seul l'intensité de leur amour les gidaient "vers" eux!
"... De faire en sorte que ces richesses soient notre moteur ...", dis-tu MeskEllil: On faire notre Deuil, radical !? je ne le concois qu'ainsi..
Et si Miliana est une "sainte" necropole, est-t'il une necropole qui soit saine ?
Merci Khouya Midjou d'avoir permis cette interrogation par ton humble et sincére texte, et merci a vous tous d'avoir lu ce Gros Questionnement ! -
- 2. Meskellil Le 10/10/2014
Bonjour M. Mourad,
Et je m’incline devant votre sagesse, votre délicatesse et votre élégance qui pour moi, sont synonymes de grandeur. Je vous prie de pardonner la maladresse de mots qui ont pu vous heurter, ce n'était pas intentionnel. Parfois, nous perdons notre recul et notre clairvoyance pour diverses raisons, et ce sont notre subjectivité ou nos représentations qui prennent le pas à notre grand regret.
Très sincèrement et très amicalement à vous, -
- 3. benyoucef Le 10/10/2014
Cher ami Midjou
Je te presente mes vives felicitations à l'occasion du joyeux mariage de ton fils Riyadh à qui je souhaite tout le bonheur du monde.Kol chi Mabrouk
Amicalement -
- 4. Meskellil Le 08/10/2014
Cher ami et grand frère Ferhaoui,
Merci de votre explicitation que je partage pleinement et totalement. J'espère que vous n'avez pas compris mon interrogation comme une demande de justification, ça n'était absolument pas le cas, mais je craignais de mon côté de ne pas être fidèle à ce que vous souhaitiez exprimer. Et en effet, que serions-nous, et que deviendrions-nous sans espoir? -
- 5. ferhaoui Le 08/10/2014
bonjour tout le monde, n' ayez crainte!! p'tite soeur meskellil au contraire à travers votre réflexion et (du texte de edouard g) croyez -moi...j'ai eu un moment de grand, de grand bonheur et surtout de sécurité profonde, ceci justifier que je n'ai pas osé en dire un mot de plus. encore mieux! oui,! il y a en moi un optimiste qui fait que je ne commence jamais une toile de peinture ou un modeste écrit sans les plus grands espoirs. ainsi j'espère en ces quelques lignes le justificatif de mon: sans commentaire! l'ami ferhaoui, oran. -
- 6. Meskellil Le 08/10/2014
M. Mourad bonjour,
Mon commentaire sur le texte de M. Midjou ne faisait pas allusion aux 3 religions monothéistes. Mais bien sûr chaque lecture résonne différemment chez les uns et les autres. Mon propos est beaucoup plus global et entend l’humanité entière avec toutes ses composantes, toutes ses particularités, toutes ses différences quelles qu’elles soient, ceci exprimé à l’échelle de Miliana.
Je crois fortement aux paroles d’Edouard Glissant que l’Histoire a également malmené dans sa chair et dans sa mémoire qu’on a voulu occulter par un oubli unilatéral, méprisant, qui nie l'autre en tant qu'humain. C’est le passé ! On passe à autre chose ! Oui bien sûr, il faut aller de l’avant seulement, je crois qu’on ne peut pas passer pleinement à autre chose, et libérer son imaginaire et construire, lorsque l’on force l’oubli, lorsque la mémoire est triturée, manipulée, tronquée à l'envi. Les exemples en Algérie sont légion.
Cher ami et grand frère Ferhaoui bonjour. Cela fait du bien aussi d’imaginer à défaut de construire un monde sans violence, sans guerre, fait de solidarité, de partage et de respect. Par contre, je n'ai pas compris ce que vous entendez par « sans commentaire », mais ce n'est pas grave, chacun y met ce qu'il choisit d'y mettre.
Très amicalement à tous, -
- 7. ZOUM Le 08/10/2014
BONJOUR TOUT LE MONDE,
Ceux qui recourent à la violence sont à mon avis ,dans une lecture paranoïaque de la réalité.Dans les premières Sourates du CORAN,
c est une résistance non violente qui est recommandée.Les gens du livre(juifs et chrétiens ,puisque l Islam se présente lui-même comme une religion Abrahamique)sont explicitement protégés. "En vérité,ceux qui ont cru ,ainsi que les juifs ,les Sabéens et les Chrétiens ,ceux qui ont cru en DIEU ,au jugement dernier et qui ont fait le bien ,seront préservés de toute crainte et ne seront point affligés"CORAN(5/69).
DIEU insiste sur la ressemblance entre les "Gens du Livre" issus des 3 monothéismes : "Ne discutez avec les Gens des Écritures ( Juifs et Chrétiens ) que de la manière la plus courtoise ,à moins qu il ne s agisse de ceux d entre eux qui sont injustes.Dites-leur "Nous croyons en ce qui nous a été révélé et en ce qui vous a été révélé. Notre DIEU et le Votre ne font qu un DIEU UNIQUE et nous LUI sommes totalement soumis" CORAN(29/46).
amicalement cher frère MIDJOU
mourad -
- 8. ferhaoui Le 07/10/2014
bonjour tout le monde, beau texte qui nous permet d'imaginer certes un monde meilleurs mais aussi la violence du moment? YA P'TITE SOEUR MESKELLIL ,sans commentaire! l'ami ferhaoui, oran. -
- 9. Meskellil Le 07/10/2014
Bonjour à tous,
Originale, très intéressante et instructive manière de présenter Miliana au moment où l’on pourrait penser à tort évidemment, que tout a été dit ou presque. La pierre est un témoin du temps, une mémoire vive, un repère stable, un ancrage dans notre histoire, nos histoires multiples à travers les siècles. Les cimetières nous parlent, nous enseignent notre identité diverse, nous donnent à voir, à lire, à déchiffrer, à comprendre ce trait d’union, ces traits d’union entre notre passé, notre présent et notre avenir. A nous d’apprendre de ces lieux et de leurs pierres, de les accueillir comme partie intégrante de nous, de faire en sorte que ces richesses soient notre moteur, nos ailes et non un quelconque boulet qui nous ralentit ou nous empêche d’avancer dans ce monde en perpétuel mouvement. Laisser mourir ces lieux, s’en détourner c’est se priver des clés d’entrée dans notre histoire riche, dans notre identité multiple et diverse. Ces données sont précieuses parce qu’elles nous disent qui nous avons été, qui nous sommes et ce que nous voulons devenir.
Edouard Glissant parlant de l’esclavage :
« Vous ne pouvez pas haïr un peuple ou une communauté qui ont cessé de vous haïr. Vous ne pouvez pas aimer vraiment un peuple ou une communauté qui vous haïssent encore ou qui vous méprisent sourdement. C’est qu’en matière de relations entre communautés, l’oubli est une manière particulière et unilatérale d’établir des rapports avec les autres, mais que la mémoire, qui est, non pas une médication de l’oubli mais à la lettre son éclat et son ouverture, ne peut être que commune à tous.
L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense. Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans le processus de la Relation*. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. »
*(« …La relation, c’est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c’est l’autre forme d’universel, aujourd’hui. C’est notre manière à nous tous, d’où que nous venions, d’aller vers l’autre et d’essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l’autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd’hui… »)
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